Hachis Chinois

17 avril 2016

Un peu étrange, peut-être, mais le hachis chinois représente bien l’état des choses actuelles chez nous. Tant dans notre couple que pour la préparation du voilier, nos manières de faire se croisent, sans jamais tout à fait fusionner. Une chance, diront certains… je suis d’accord. Dans notre cas, le hachis-chinois devient donc une métaphore de nos tribulations pré-départ. Au Québec, un pâté chinois est un plat au four en étage constitué de viande hachée, de maïs et de patates pilées. Ma mère, un peu aventureuse, rajoute du paprika sur le dessus pour un effet-choc ! Le hachis parmentier français y ressemble incroyablement, si ce n’est de quelques petites différences. Il peut y avoir des carottes, mais pas de mais et, surtout, il y a du fromage sur le dessus (ce sont tout de même des Français, il fallait s’y attendre).

 Aymeric en laisse 2

Alors voilà que cette semaine, au milieu d’une discussion du type j’ai l’impression d’être seul à vraiment œuvrer à notre départ en voilier, j’ai cuisiné un pâté chinois qui s’est transformé en hachis chinois. On a tous les deux quelques fois cette impression tenace, mais subtile, qu’on en fait plus que l’autre. Même si on a bien pris le temps de discuter et de répartir nos tâches respectives — en ce moment, elles occupent une page Trello (logiciel d’organisation bien pratique) de plus de 8 colonnes ! — il vient toujours un moment où l’un des co-capitaines ressent un effet d’abandon, une certaine lourdeur. Résultat, il a d’autant plus l’impression que l’autre ne contribue pas à la préparation suffisamment, qu’il s’investit moins dans les préparatifs du voyage. Peut-être que je suis bête d’être un peu surprise, mais on se retrouve avec le même genre de conversations que celles qui ponctuent toute vie de couple. Bien sûr, on se rend vite compte que pris dans notre bulle, on oublie simplement tout ce que fait le co-capitaine. Le Hachi-Chinois, c’est donc en premier le mélange inextricable de tâches, petites ou grandes, entamées ou non, réfléchies et inscrites à l’agenda de Dorénavent depuis son achat.

 

Par exemple, le premier étage du Hachi-Chinois, chez nous, représente l’organisation de notre vie familiale qui s’est tout simplement transposée à la planification du départ. Ça donne quoi au juste? Alors je suis responsable de voir à la planification et à la réalisation de toutes les petites tâches liées au départ de notre appartement, à notre sécurité et bien être une fois à bord, sans oublier les détails de notre retour. Voici une petite liste, pêle-mêle, de la chose : trouver un agent d’immeuble, signer le contrat de mise en sous-location et y donner suite ; comparer les assurances maladie et choisir, à l’aide de la courtière, celle qui nous sert le mieux (il faut savoir que la régie de l’assurance maladie du Québec accepte de couvrir une sortie du territoire de plus de 6 mois par sept ans et qu’il faut en faire la demande formelle. Ça fait une différence incroyable pour ce qui est du prix des assurances qui triple sans cette couverture étatique) ; m’assurer d’avoir payé nos deux assurances vies, voir à l’assurance du voilier (la majorité des assureurs ne couvrent pas la région des cyclones [tout ce qui se trouve au sud de New York oui oui]. C’est le cas de notre compagnie actuelle ; il faut donc en changer. Exigée par les compagnies d’assurance, une évaluation maritime, au Canada, a une durée de vie de 5 ans. Ailleurs, pour la même évaluation, la durée est réduite à 2 ans ! Comme nous en sommes à 2 ans moins 2 mois, il faut trouver au plus sacrant une assurance pour les Bahamas pour ne pas avoir à refaire une évaluation maritime) ; prendre rendez-vous chez le médecin pour nous trois (faire la liste des produits pharmaceutiques et des médicaments recommandés et ceux que nous prenons déjà) ; sans oublier le dentiste, encore pour nous trois ; inscrire Aymeric sur la liste des centres de la petite enfance (non, je ne veux pas être mère au foyer à mon retour) ; veiller à faire faire une procuration avec notre notaire pour qu’un ami puisse payer nos impôts l’année prochaine ; commencer à faire des boîtes/cartons, réfléchir au savon à vaisselle (bio), pour le corps (aussi bio), les couches et surtout où les mettre ! ; acheter en solde les vêtements d’hiver d’Aymeric, une taille trop grande (au plus bas de la température, il fera peut-être 8 degrés dans le voilier…) et j’en passe. Bien sûr, toutes ces tâches sont échelonnées dans le temps et je m’y attarde depuis janvier. Côté voile, je veux : coudre des draps pour nos lits, ajouter une bande de tissu au porte-bébé sac-à-dos d’Aymeric pour qu’il soit le plus physiologique possible, créer une patente pour ranger mes épices sans qu’elles se mettent à voler, trouver la meilleure recette de pain, faire la route et cibler les escales de la croisière, là encore, j’en passe.

Si je suis honnête, j’avoue aussi m’être attribué certaines tâches juste parce que j’en avais envie, non pas parce qu’elles étaient vraiment utiles. Par exemple, le parté Tupperware tenu à la maison pour m’équiper en plats de plastique bleu poudre. J’étais tellement contente de voir que non, je ne suis pas folle ! Il y avait un kiosque de Tupperware au salon du bateau à la marina Gosselin la fin de semaine dernière. Tout en plastique, il n’y a pas d’occasion de briser ton Tupperware avec les vagues et le roulis et surtout, ça se remplace au retour si jamais ils n’aiment pas l’air salin chaud du sud. Qu’on se le dise, c’est la première et la dernière fois de ma vie que je vends du plastique pour soutenir la libération de la femme… selon les dires du prospectus.

 Tupperware

Alors, pour ce qui est de l’étage supérieur du Hachi-Chinois, celle qui se voit puisqu’elle contient des éléments tangibles, elle est du ressort de Laurent. Il va donc, dans les prochaines semaines, devoir réparer le guindeau (c’est le moteur à l’avant du voilier qui remonte doucement l’ancre de l’eau) ; installer les nouvelles ancre et chaîne, remettre le réservoir d’eau avec sa nouvelle jauge, réparer la planche pourrie à l’arrière de la jupe, refaire l’interprotecte et la peinture antisalissure et, là aussi, j’en passe. En fait, je suis certaine que la liste est plus longue, mais sans osmose, je ne suis toujours pas dans sa tête!  En ce moment, Laurent prend  un cours d’électricité et un cours de météorologie marine par semaine, le tout les mardis et jeudis de 19 h à 22 h. Il est claqué. Ce n’est que cette semaine que je me joins au cours de météo. En plus, il va commencer son année sabbatique le 1er juillet pour travailler à temps plein sur le voilier. Aymeric et moi, on le rejoint que 2 semaines voire 3 plus tard.

Le Hachi-Chinois, c’est aussi et surtout nos discussions qui durent depuis plusieurs mois sur la longueur de la chaine, son diamètre et son type; sur l’ancre, son poids et sa grosseur; sur la présence ou l’absence d’un câblot, mouillé sur chaine ou sur câblot; sur l’achat et l’installation d’un système de chauffage; sur le remplacement du gréement dormant; sur les varangues et sur nos tâches… Qui surveille Aymeric? Comment assurer sa survie?! D’ailleurs, première sortie au voilier de l’année, il nus fait une peur bleue en voulant sortir du cockpit « tout seul maman, tout seul! ». Deuxième sortie, il porte son harnais, solidement attaché par une ligne de vie. Un gamin en laisse, j’ai toujours trouvé ça tellement ahurissant, mais bon, c’est la vie de ma progéniture qui est en jeu. Dorénavent devient donc un laboratoire vivant, un rêve à la fois nourrie par nos personnalités et par nos identités culturelles respectives!