Évaluateur de bateaux moteurs

Si tu te poses la question, oui, on a bien un voilier et non un bateau moteur. Par ce qu’on aime toujours donné un petit nom à l’autre, le proprio d’un bateau moteur s’appel un « huileux ». En l’espace d’une semaine, deux évaluateurs maritimes professionnels se sont mutuellement traités « d’évaluateurs de bateaux moteurs » dans le but de discréditer l’autre à nos yeux. Mais qui est cet évaluateur pour huileux, apparemment négligent, voire incompétent ?

Au mois de mars, naïve que j’étais alors, j’entreprends la recherche d’une assurance voilier pour notre voyage aux États-Unis et aux Bahamas. Plus exactement, je demande à mon assureur actuel s’il peut nous couvrir. La courtière en assurance maritime, qui fait ses premières armes, m’envoie une panoplie de documents Word à remplir, les uns plus ambigus que les autres. Certaine qu’il ne s’agit que d’une tâche administrative à biffer de notre liste Trello, je lui envoie en retour notre évaluation maritime. C’est le même type de document que lors de l’évaluation d’une maison ou d’un condo avant l’achat. Aucune nouvelle pendant un mois. Déjà, la chose est louche. Je lui renvoie un deuxième courriel en lui demandant pourquoi obtenir une soumission prend autant de temps… Elle me répond « ah, bien je ne savais pas si vous étiez sérieux. ». Grrr ! Une semaine plus tard, en avril, le coup de grâce tombe. Non, on ne peut vous assurer puisqu’il est indiqué dans votre évaluation maritime que vous devez refaire vos varangues. Merde. Après le premier choc de cette bombe, je demande à Laurent « qu’est-ce que des varangues encore ? » Alors, Antidote en donne deux définitions. La première, « pièce courbe ou fourchue, fixée perpendiculairement à la quille d’un navire et formant la partie inférieure d’un couple ». La deuxième, « sorte de véranda, dans certains pays d’Asie ». Yup, c’est bien la première qui nous concerne. Par contre, ce qui est ici subtil, c’est que la varangue représente la charpente d’un navire. Si les varangues sont affectées, c’est la résistance aux chocs de la structure même du bâtiment qui n’est plus garantie. Le navire peut perdre sa quille, voire risquer que sa coque s’éventre. Laurent : « Qu’est-ce qu’il dit encore le survey, c’est toi qui étais avec le gars ! On a regardé avec mon père, elles n’ont rien les varangues. Y’é juste con ».

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Je reçois ce refus comme une claque. La fin de notre assurance actuelle approche à grands pas. Il faut vite trouver une autre solution. Toujours naïve, je pense que je peux m’en tirer d’ennui avec mes varangues en changeant de compagnie d’assurance. J’appelle le « con » qui a fait la première évaluation pour savoir s’il peut nous conseiller. Ça y est. Cette fois, la courtière s’y connait après plusieurs années dans le domaine. J’entame une nouvelle fois les démarches administratives. Si les premiers documents Word sont ambigus, ceux-là sont juste incompréhensibles. Avec Laurent, assis en indien sur le lit, on fait dument notre curriculum vitae marin. Le moment critique arrive, j’envoie l’évaluation maritime. Une semaine plus tard, deuxième coup de grâce. De un, la compagnie exige qu’on soit accompagné d’un skipper expérimenter jusqu’à ce qu’il juge qu’on peut naviguer seuls. De deux, il faut absolument donner la preuve qu’on est diligent et qu’on a consulté un chantier maritime pour la réparation de nos varangues. Je pleure à chaudes larmes au bureau en essayant de me cacher de mes collègues. J’envoie un courriel à Laurent, je suis dépassée par ces exigences. Aux mois de mai et de juin, c’est tout simplement impossible d’avoir un devis, Gosselin est tout simplement trop occupé. Et puis, le voilier n’a que deux cabines, qui voudra passer je ne sais combien de mois avec nous trois dans 36 pieds?! Combien ça va nous couter?! Je me calme et j’appelle la courtière : « Écoutez, nous avons navigué au Honduras et en Méditerranée, nous avons suivi plus de 5 cours fondamentaux de 33 heures avec l’école de navigation de plaisance, ça n’a pas de bon sens… » Elle : « c’est bon, la première condition est enlevée. C’est juste parce la compagnie est à Londres et que vous avez fait votre cv marin en français… Pour les varangues, vous n’avez qu’un autre choix en sus du devis de réparation et c’est de demander une révision de l’évaluation maritime à l’évaluateur ».

 

Au « con », Laurent ne lui fait pas trop confiance. Il décide plutôt de demander l’avis d’un autre expert qu’il juge plus objectif que Gosselin, le chantier maritime le plus proche. Le gars, super gentil, se déplace le lendemain. Conclusion : « oui, je vois bien que c’est élimé, mais il ne s’agit pas des varangues, mais bien de support de plancher. Dans le pire des cas, le plancher implose. Ce n’est absolument pas structurel. Le gars qui a fait votre premier survey, c’est un évaluateur de bateau moteur. Si vous le faites vous-même, c’est à peu près 500 $ au lieu de 7000 $ et t’en as pour une semaine de travail à deux. Le pire, c’est la poussière de fibre de verre et le ménage qui va avec ». Toujours naïve, je m’empresse de communiquer avec la courtière. Elle : « en fait, quand c’est gris, les assurances tranchent en faveur du noir… vous devez absolument donner suite à votre première évaluation et obtenir un devis du chantier ou bien faire rectifier votre première évaluation par l’évaluateur original. Malheureusement, le contre-avis n’a pas de poids ». Merde. Je prends mon courage à deux mains et je téléphone encore au « con ». De mon avis, il n’est vraiment pas con, juste très condescendant. Il daigne prendre quelques minutes au téléphone – ça fait quand même plusieurs messages que je laisse sur sa boite vocale. Avec un ton de plus en plus explosif, il me dit « comment ça vous avez demandé une contre-expertise ! Si vous acceptez les conclusions de cet évaluateur de bateaux moteurs, c’est votre problème. Moi j’ai navigué, ce sont des varangues pas des supports de plancher et c’est dangereux ! » Là, au moment présent, je me sens comme une nouille en jupe avec un gros nœud au ventre. Suis-je si inconsciente que j’ignore un potentiel grave danger pour ma famille ?

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Je persévère et j’en bave. Le temps passe, mais Gosselin est toujours aussi occupé. J’attrape finalement au vol le contremaitre qui accepte de me donner des nouvelles d’ici 24 heures. Une semaine plus tard, je reçois son appel. « Madame Larcher ? Je n’ai rien vu, il fait trop chaud, c’est impossible d’enlever votre plancher sans l’abimer. Pouvez-vous venir en fin de semaine et identifier les varangues qu’il faut changer, svp ? » Quelqu’un peut me dire pourquoi je dois indiquer ce qui doit d’être réparé aux professionnels. C’est fait, un ruban adhésif vert colore les trois varangues identifiées dans notre évaluation maritime. Une deuxième semaine passe. Un second appel de Gosselin. « Madame Larcher ? Il n’y a rien de structurel, ce sont des supports de plancher. En plus, ils sont quand même en bon état ». Moi — qui fais la danse de la joie dans ma tête — « vous pouvez m’envoyer un devis qui dit explicitement qu’il s’agit de supports de plancher. Que vous les avez évalués à ma demande, que vous nous donnez une estimation des coûts, mais qu’ils semblent en bon état ? » Lui : « Oui, bien sûr. Je vous envoie l’estimation demain ». La semaine d’après, le courriel « Saint-Graal » arrive enfin et est aussitôt transféré à la courtière. Depuis trois semaines, on attend, anxieux, la réponse de la compagnie londonienne.