Vacances sur le lac partie 2/3
De Valcour à Vergennes
Première semaine de voile en famille sur le lac Champlain. Il fallait bien faire un test, non ?
Mardi
7 juillet 2015 (Valcour à Willsboro Baie)
Arnold (la voix programmée du canal 2 sur la VHF pour les intimes) nous annonce, en ce matin ensoleillé, entre 16 à 20 nœuds de vent. Bien au mouillage dans la baie nord de l’île Valcour, on regarde, hébétés, le voilier devant nous. Comme on n’a pas d’orin — il s’agit d’une petite bouée de mouillage forain qui indique l’emplacement plus ou moins exactement de l’ancre au fond de l’eau —, on juge rapidement que si le voilier devant nous n’est pas au-dessus de notre ancre, il n’en est pas très loin. Après quelques jugements de valeur du type ils sont 4 jeunes, beaux et bronzés sur un quillard de 40 pieds à l’allure fraîchement sortie de l’usine… je décide de faire de grands gestes de la main pour attirer l’attention de l’équipage « du voilier de papa ». Une équipière se prépare au cas où il leur faudrait déplacer le voilier pour nous permettre de remonter l’ancre en installant les défenses ; le « capitaine » allume le moteur. C’est bon, mais on n’était vraiment pas très loin ! Au sortir de la baie, on est bien heureux d’avoir écouté Arnold et d’avoir pris une prise de ris et réduit notre génois. Ariser la grande voile consiste à réduire la surface de la voile en la repliant en partie. On ne peut prendre de ris sur la voile avant, le génois, mais on peut se servir de l’enrouleur pour diminuer la surface de voile au vent. Au pré serré – c’est à cette allure que le voilier se rapproche le plus de la direction du vent -, ça tape en chien. Aymeric, qui dort dans sa cabine, doit bien léviter par moment avec des vagues d’un mètre. Cela dit, il ne se réveille pas plus qu’à l’habitude ! Dès qu’il sort dans le cockpit après sa sieste, veste et siège-auto dans le cockpit, les conditions de navigation obligent. On le nourrit aux Gerber et au maïs.

Nous arrivons dans Willsboro baie pour y passer la nuit. Les montagnes des Adirondacks qui s’offrent à la vue sont tout simplement majestueuses. L’instinct grégaire l’emporte, on mouille là où il y a déjà d’autres voiliers et non pas que quelques huileux. À notre grande surprise, on y retrouve le Câlin V qu’on tente de rejoindre sur la VHF — la radio de toute embarcation marine — depuis samedi. Il faut dire que François, son propriétaire, nous a donné un super coup de main lors de la descente de Dorénavent aux États-Unis en plus d’être notre seule connaissance sur le lac. Deuxième surprise, beaucoup moins agréable celle-là. Je réalise pour la première fois que j’éprouve des difficultés à manœuvrer le voilier en marche arrière. Le hic, c’est qu’avec le pas de l’hélice, l’inertie et l’erre du voilier, je fais une syncope lorsque je me retrouve à la barre pour le mouillage. Pour mieux visualiser le truc, Laurent est devant le voilier à la proue ; il gesticule et hurle ! Je suis à l’arrière et je tiens la barre franche. Selon le vénérable Roi-Soleil, le bateau de Louis Charbonneau et non pas l’autre, il faut reculer au moment où l’ancre touche le fond pour permettre à la chaine de bien s’étaler. Ça limite de manière importante les coups donnés par la chaine sur l’ancre. Dans le cas inverse, ça risque de la faire chasser (loin de tuer un original, chasser veut ici dire que l’ancre dérape). Comme je suis incapable de reculer en ligne droite après avoir largué l’ancre, on se retrouve devant un catamaran de 40 pieds ! L’approche kinesthésique me fait défaut tout à coup parce qu’en marche arrière, il faut tourner la roue dans le sens inverse et que le voilier met un laps de temps très long à réagir. La prise au vent nous fait donc dériver. Grincements de dent très intenses, quelques prises de bec et reprises de la manœuvre. C’est bon, nous ne sommes pas loin des autres monocoques, mais on ne passe pas pour le boulet de la baie non plus. Juste avant le souper, Aymeric perd pied et vient s’écraser la joue sur la table du cockpit. Il est bleu-violet et balafré ; on se sent un peu indignes comme parents.
Le hic, c’est qu’avec le pas de l’hélice, l’inertie et l’erre du voilier, je fais une syncope lorsque je me retrouve à la barre pour le mouillage.
Mercredi
8 juillet 2015 (Willsboro Baie à Converse Baie)
C’est un réveil assez brutal à 6 h 30 du matin avec un vent qui souffle à 16 nœuds. Alors qu’au coucher on est très bien protégés du vent sud, Éole a fait une volte-face complète pendant la nuit. On est toujours un peu somnolents ; la nuit a été assez mouvementée, Aymeric s’est retrouvé dans notre lit et Laurent dans le sien. Je viens le rejoindre en douce et là j’entends des hurlements… je fais la marmotte et sors la tête par l’écoutille de la chambre d’Aymeric. François remonte son ancre à toute vitesse. Le monocoque voisin, des Américains hippies âgés d’environ 70 ans, se dirige vers la berge. Leur ancre chasse ! On entend les rafales dans le gréement dormant, le temps est gris. On se lève d’un bond, s’habille, regarde l’huile et prépare le moteur. J’ai envie tout bonnement de sauter dans l’annexe et d’aller les aider. Je tergiverse tout de même, ou plutôt Laurent tente de me garder sur le voilier à force d’arguments assez convaincants. « Nous n’avons pas de moteur sur notre annexe Claudie. Comment penses-tu pouvoir aider? Et si nous chassons aussi, je fais quoi seul avec Aymeric » ? Au terme de notre débat, François revient en annexe pour pousser le voilier que les proprios avaient attaché à un corps mort, évitant in extremis de s’échouer. Monsieur — toujours le hippie de 70 ans — est en bobettes et plonge dans une eau à 18 degrés Celsius ! On apprend un peu plus tard par VHF que l’amarre de leur annexe s’est enroulée autour de leur hélice. Comme ils n’avaient pas de moteur hors-bord sur leur annexe, ils ne pouvaient rien faire pour manœuvrer. Leçon apprise, première tâche au retour de notre semaine de vacances : s’acheter un moteur hors-bord et changer nos amarres d’annexe pour du polypropylène au plus sacrant !
Monsieur — toujours le hippie de 70 ans — est en bobettes et plonge dans une eau à 18 degrés Celsius !
Première leçon de marche arrière pour moi après la crise d’hier. À nouveau, hurlements et grincements de dents. Trop de conseils de la part de Laurent me font tourner la tête et je ne suis toujours pas capable d’avoir une réponse kinesthésique. Lorsque je mets Dorénavent en marche arrière et que je regarde par-dessus mon épaule, je me dis « ahhhhrrrggg je ne sais pas dans quel sens il va tourner si je pousse la roue à droite ». Soit dit en passant, c’est la même chose à gauche.
En sortant de la baie, Laurent me dit : « nous avions presque des amis… Les proprios de voiliers avec des enfants ont, me semble-t-il, peut-être 10 voire 12 ans de plus que nous. Le très petit nombre de proprios de notre âge est sans enfant ». À ce titre, François et sa copine nous racontaient hier avoir escaladé plusieurs chutes et bassins d’eau pour découvrir une charmante rivière dans la forêt. Pendant que je rêvasse à Laurent qui nage dans un bassin naturel chauffé par le soleil, Aymeric me mord parce qu’il a faim. Oui, je suis maman. D’ailleurs, je suis épuisée après 4/5 heures de voile, nage, repas chaud, bain et routine du dodo. Je tombe le visage en premier dans mon oreiller, il doit être 21 heures le soir. Autre réflexion de Laurent, « cette sensation d’avoir des journées bien remplies est la preuve que nous sortons de notre zone de confort ». Merci Ti-Oui.

Allure largue/grand largue, on a un joli vent du nord pour nous rendre à Converse Baie, notre destination du jour. Dans le cercle des allures, au grand largue, sur bâbord ou tribord, le vent provient de 3/4 arrière. Je décide de lancer une campagne sauvons les avocats. Ce sera un roulé au thon pour le dîner et oh qu’ils ont d’l’air bons ! Mais à la première bouchée, mon palais me dit que quelque chose cloche. Pourquoi est-ce qu’il a un goût de je ne sais quoi ce roulé ? Price Chopper ? Sans gluten ? Quasi sans calories ? Shit, roulé au Bounce, feuillets désodorisants à l’origine pour la sécheuse (sèche-linge) que j’avais mis dans la cuisine pour rafraichir l’odeur de renfermé du voilier. « Peut-être grillé ? » me dit Laurent…
Shit, roulé au Bounce, feuillets désodorisants
De l’extérieur, Conserve Baie est superbe. Par contre, lorsqu’on y pénètre pour se protéger du vent, on a vu sur d’immenses maisons, répliques de cabanes à moineaux grandeur XL, où les propriétaires ont eu la brillante idée de jouer aux bucherons. Après les magnifiques montagnes des Adirondacks de Willsboro Baie, vivement le gazon jaune séché. Une nouvelle leçon de marche arrière où quelques améliorations sont notées à côté d’un voilier au mouillage qui doit bien se demander quelle mouche nous a piqués. Finalement, elle est laide cette baie. On repart pour Bottom baie où on est seuls (avec un huileux – un huileux, c’est un propriétaire d’embarcation à moteur sans voile – tout de même) dans ce qui serait un lac en soi pour ma belle-mère.
Jeudi
9 juillet 2015 (Converse Baie à Vergennes)
Matin calme, youpi on peut faire la grasse matinée. « Ne pas oublier que nous sommes en vacances » est l’un des conseils les plus avisés de Luc Bernuy. Un tout petit changement de baie, voire aucun, n’est au menu aujourd’hui. Vers midi, cependant, le vent monte et notre mouillage devient inconfortable. Arnold nous informe de sa voix monotone que le vent du sud vire au nord-ouest au cours de la nuit. Le principal problème auquel on est confrontés, c’est que la multitude de baies du lac protège soit du nord, soit du sud, mais jamais des deux directions. Kingsland Baie ou bien Vergennes ? Je ne peux m’empêcher d’ajouter prestement que Laurent me parle de « Verge haine » depuis déjà deux semaines. Sur leur blogue, la Rose des vents V parle de leur périple dans le sud du lac, dont Vergennes. C’est avec stupeur, à la première lecture de leurs aventures aux Bahamas et au lac Champlain, qu’on a appris qu’il y a trois capitaines à bord de ce voilier, monsieur, madame et… Jésus à moins que ce ne soit Dieu. Bref, appel au Câlin V pour savoir s’il y a des services de marina aux quais publics de la petite municipalité. Non, mais la marina de Westport se trouve en face de Bottom Baie. Excellent ! Petite séance d’entraînement pour les manœuvres de port, je pars à la recherche d’un coupe-ongle, bidule indispensable. Qui l’eut cru ! Je suis un peu mal à l’aise pendant un bref instant, la caissière me dit qu’elle n’en a pas à vendre, mais qu’en cas d’urgence (?!) elle veut bien me prêter le sien. Je lui dis que c’est pour mon chum. L’offre est déclinée par Laurent qui est un peu rouge.
L’offre est déclinée par Laurent qui est un peu rouge.
La réflexion de la journée tourne autour de la consommation en diesel de notre voilier. La jauge nous semble un faux témoin. Depuis sa mise à l’eau, Dorénavent a 31 heures/moteur sous la proue et la jauge oscille entre le plein et le tiers du réservoir. Selon nos estimations plutôt conservatrices, nous devrions consommer entre 2 et 3,5 litres par heure/moteur. Laurent demande donc 80 litres au pompiste de la marina qui lui répond « Sorry. Eighteen ? » Laurent : « No. Eighty .» Entre les gallons, le litre et l’anglais, le message se perd. Il faut voir la tête du gars qui doit se dire non, mais ils sont fous, je ne pourrais jamais y mettre 80 gallons ! À notre grand étonnement, 10 gallons (40 litres) suffisent pour faire le plein. Nouveau calcul. On ne consomme que 1,3 litre par heure/moteur. Cet exercice est bien sûr à refaire, mais si c’est bien le cas, c’est fantastique.
À la sortie de la marina, l’itinéraire pose toujours problème. Je tergiverse encore parce que l’entrée de Otter Creek est parsemée de hauts-fonds. Puis, si ça prend trois heures s’y rendre, on n’y sera que vers 19 heures et là c’est la galère parce qu’Aymeric aura faim. Compromis. Je vais cuisiner pendant le trajet alors que Laurent sera à la barre avec Aymeric comme éclaireur. Superbe coup d’œil dès notre entrée, deux aigles et un nid immense sur pilotis. On sort encore une fois de zone de confort en testant nos limites et nos peurs. Est-ce qu’on va s’échouer ? Si oui, qu’est-ce qu’on fait ? On est très agréablement surpris par notre petit périple. Laurent me dit du cockpit « ferme la cuisinière, on arrive dans deux tournants ». Impossible, il reste encore une heure selon le guide… Eh bien, on est à Vergennes ! Un quai municipal gratuit et bien entretenu devant une jolie chute où nous attend une nuit au calme. Le monde est bien petit, celui de la voile encore plus peut-être. Le voilier qui a assisté au spectacle de mes marches arrière à Converse Baie est devant nous…
