Réservoir de toilette
Carolina Beach, North Carolina
Du 1er juin au 9 juin 2017
Au moment d’écrire ces lignes, je suis assise chez Melissa’s Coin Laundry dans la petite ville costale de Carolina Beach. Posée devant moi sur la table, la bible repose sur une table brune qui a vu de meilleures années. Sur mon nez et mon front, quelques gouttes de sueur perlent. J’ai terriblement chaud. La pluie et les vents annoncés ne viennent pas. La lourdeur de l’air n’est que trop ressentie ; l’atmosphère est irrespirable, humide. Je m’étais bien fait de faux espoirs. Non, il n’y a pas de climatisation chez Mélissa… Des oreilles de berger allemand pointent derrière le comptoir. Je viens de m’apercevoir que j’ai lavé une version miniature de la voiture de Batman.

Merde, je divague. C’est un billet entretien. Il devrait être signé de la plume de Laurent, mais il faudra vous contenter de savoir qu’il en a fait la relecture avant que le web ne l’avale (le billet, pas Laurent. Quoique…). Voici la petite histoire de notre hors-bord, entrecoupée des autres trucs qui ont pété récemment sur le voilier.

Jeudi du hors-bord
On pensait bien écouler quelques jours paisibles, attaché à notre coffre d’amarrage. Prenant soin de choisir le plus proche du quai public, on est en mesure de ramer du voilier jusqu’à la structure en bois. C’est que notre moteur hors-bord Yamaha 9,9 HP (neuf) nous fait des soucis. Ce qu’il faut savoir, c’est que Laurent et moi n’avions pas « diagnostiqué » les mêmes signes et symptômes. Quand je conduis le dingy, il ne semble pas se passer la même chose que lorsque c’est lui qui est à la barre. Résultat, on a réussi à rapporter notre moteur chez Tom’s Marine Center, spécialiste Yamaha, in extremis avant la fermeture. Le mécanicien (Jake de son petit nom) n’a rien compris de nos explications embrouillées, voire incohérentes (disons que l’anglais et ma piètre traduction littérale français/anglais n’ont pas aidé). Après avoir remis l’engin, alors qu’on reprend le chemin de la maison-bateau à rames, un alligator se promène au bout du quai.


Vendredi des panneaux solaires
Le panneau solaire… Alors là, je me dois d’être honnête, même si je suis rouge de honte. Deux panneaux solaires servent à assurer notre consommation quotidienne d’énergie. Ce sont des Greenlitesolar (modèle GS 130) d’une capacité de 130 watts (il y en a deux, donc 260 watts). Théoriquement, ils doivent fournir 21 ampères à l’heure (le soleil au zénith, sous le tropique du cancer, genre). Humblement, on s’excite quand ils fournissent 6 — méchant écart ! On a été surpris par le peu de force du soleil pendant l’automne. Comme l’été est pratiquement là et que le rendement de nos panneaux n’a pas augmenté, ce n’est tout simplement pas normal. À Cumberland Island, Mathieu (Amanoka) a enfoncé le clou. Avec la même surface, il produisait plus du double d’ampère/heure voire plus. Il avait déjà la puce à l’oreille, mais Laurent a réussi à excuser le panneau depuis l’automne. Armé de son multimètre, il a vérifié. Affirmatif, qu’un seul des deux panneaux fonctionne.

Non, mais, vous vous en rendez compte ?! Depuis le départ, en septembre 2016, on n’a qu’un panneau sur deux qui fournit de l’énergie. Une petite tape dans le dos quand même, notre consommation quotidienne n’a jamais tué nos batteries. Voilà que la « pâte » Saugru — un cadeau de notre pote Thomas. Ça doit être génial dans un appart — ne parvient à fusionner la connexion électrique que pendant 2 jours. Immédiatement, la recharge des batteries en prend un coup. D’autant plus que c’est grisâtre et orageux en ce moment.

J’ai oublié de préciser que le moteur diesel nous joue également quelques tours. Après la vidange d’huile des 500 heures (changement des filtres primaire et secondaire, du filtre à l’huile et de la turbine de refroidissement d’eau), le filtre secondaire pisse du diesel, soit l’équivalent d’un fond de couche par jour. Ça vaut le coup d’avoir un gamin sur le voilier, le stock de couches est toujours disponible. Laurent juge qu’il est mal équipé pour enlever le filtre sans causer de chaos sous le moteur. Direction la quincaillerie pour se procurer une pince et un fer à souder le métal pour réparer la connexion merdique du panneau solaire.

Au retour, on passe devant Tom’s Marine Center ; Jake nous arrête « votre moteur est prêt ». Euh. Au point mort (neutre), sur son support, il fonctionne en effet très bien. On lui demande de mettre la transmission en marche avant, ce qu’il fait. Au bout de quelques minutes, le même problème resurgit. À froid, tout va bien. Par contre, après avoir roulé, lorsque la transmission est à très faible régime, le moteur crachote et, comble de merde, s’étouffe puis meurt. À Georgetown, ça m’a pris 20 minutes pour le redémarrer et quitter le quai des vendeurs de crevettes. Jake se gratte la tête et sacre dans sa barbe. « OK, je vous rappelle cet après-midi ». Sur le quai, c’est non pas l’alligator, mais Hariette qui nous salue. En apprenant que nous sommes à pied, elle propose de venir me chercher au quai municipal pour aller faire l’épicerie. Alléluia !

Pendant que je m’affole à faire la liste d’épicerie (ce n’était pas dans mes plans de la journée, je suis dépassée, mais prête à l’attaque), Laurent prépare la réparation du moteur diesel. À mon retour, deux heures plus tard, il est content. Il a réussi à changer le filtre, mais il y a toujours une fuite au niveau de la vis de purge située juste avant la pompe à haute pression. « J’ai tout rangé au plus vite en te voyant revenir avec l’épicerie. Jake a laissé un message, le moteur est prêt ». Je suis heureuse, l’homme est dubitatif. Purée, il est 16 h. OK, je mets les trucs qui vont dans le frigo en vitesse. Je rangerais le reste au retour. On saute dans le dingy et Laurent rame vers la marina de peine et de misère contre le courant. Jake a nettoyé le carburateur (je précise que Laurent l’a déjà fait il y a moins d’une semaine). On récupère notre moteur, mais on demeure incapable de payer Tom’s Marine Center. Aucune de nos deux cartes de crédit ne fonctionne. Encore à la course (vous êtes essoufflé juste à me lire, non ?), on reprend notre dingy maintenant affublé de son moteur. Là, les putains fusent de toutes parts. Le moteur, fidèle à lui-même, merde exactement de la même façon.

– Je l’ai lavé, il l’a lavé, on l’a lavé. Ce n’est pas ça ! Laurent
Il faut bien retourner payer Tom’s… Laurent s’y présente. La mine basse, Tom refuse qu’il le paye. « Reviens lundi, les gars sont en congé la fin de semaine ». (Au passage, personne ou presque ne parle français ici. Tout simplement, on m’a demandé de rédiger nos échanges avec les gens du pays dans la langue de Molière pour limiter les traductions Google foireuses). Laurent revient, décidé plus que jamais à « réussir » un truc au moins aujourd’hui. Le panneau solaire tient.

Je range la montagne d’épicerie pendant qu’Aymeric profite d’un moment pour lui. Pauvre gamin, il a vraiment été barouetté de tout bord tout coté aujourd’hui. « arrrrggghhh. Le putain de fer à souder ne marche pas ! » Si, il fonctionne, mais comme on a choisi le petit modèle à piles, ça prend une heure et non 5 minutes pour souder la connexion… Ce n’était peut-être pas notre journée. Eurêka (tout de même), les panneaux chargent à 10 voire 15 ampères l’heure !

Samedi et dimanche, un réservoir de toilette
Là, plus que jamais, l’homme est décidé à trouver ce qui cause l’étouffement du moteur hors-bord. En mode quality assurance/problem solving, il répète mille fois les mêmes gestes pour être certain de comprendre exactement ce qui pose problème. Après réflexion et quelques heures sur l’eau, deux possibilités se présentent. Soit le moteur reçoit trop d’essence, en quel cas, les bougies d’allumage (spark plugs) fumeraient et sentiraient l’essence, soit le moteur s’étouffe par manque d’essence. Aucune boucane ni odeur. C’est donc qu’il manque d’essence. Laurent se gratte la tête « Je ne peux pas résoudre le problème sans comprendre dans les détails le fonctionnement du carburateur. OK. C’est comme un réservoir de toilette ! » (diagramme vulgarisé) Une bonne chose de faite. L’homme est maintenant capable de faire capoter le moteur à tous les coups !

En ce moment, on pense que lorsqu’on avance à très bas régime longtemps et que, subitement, on accélère au maximum de la puissance, le bol du carburateur n’est pas en mesure de se remplir suffisamment rapidement pour exécuter la demande. Résultat, le moteur s’étouffe par manque d’essence. Si on lui demande la même accélération, mais doucement, il est capable d’y répondre. Mais pourquoi ? On a éliminé l’essence (certaines sont de qualité tellement merdique qu’il suffit d’en changer pour que le problème se règle. On a acheté de l’essence sans éthanol dans une marina il y a quelques jours) et la saleté dans le carburateur (l’éthanol devient gluant dans le réservoir et attire l’eau, une vraie plaie pour un petit moteur hors-bord) comme problèmes typiques. Une nouvelle complication est évidente. Le nombre de tours minute change à volonté, c’est-à-dire que la vitesse au ralenti augmente chaque fois qu’on accélère. Lorsqu’on retourne à la vitesse au ralenti, elle est plus élevée qu’avant l’accélération. En d’autres mots, à chaque nouvelle accélération, la vitesse au ralenti est de plus en plus rapide.


Lundi des semi-gagnants
Dans le langage des initiés, Jake a parlé de float et de needle. Idem pour Phil (Katmandou) qui a passé une bonne heure à revoir la liste des possibilités avec Laurent. Le flotteur (float) et le pointeau (needle) sont deux pièces qui servent à contrôler le niveau d’essence dans le bol du carburateur. On ne sait pas pourquoi, mais on n’a jamais été capable de trouver le Workshop Manual de notre moteur Yamaha 9,9 HP sur internet. Par contre, par bribes, Laurent découvre que le pointeau ne doit absolument pas être incurvé.

De retour chez Tom’s Marine Center, Laurent glisse à Tom qu’il veut travailler lui-même son le moteur. Aucun problème. Par contre, Tom lui dit que le flotteur doit absolument être aligné avec le carburateur quand celui-ci est à l’envers (euh). Aussi, bien suivre le sens de la flèche de la tige pour retirer le pointeau. On rentre au voilier. La chaleur à raison d’Aymeric et moi ; c’est la plage qui nous attend. D’autant plus qu’un enfant qui s’amuse avec un pointeau qui vaut une centaine de dollars et qui mesure l’ongle du petit pouce, ce n’est pas chouette. Quelques heures plus tard, on rentre. La mine renfrognée de Laurent n’est pas de bon augure. Je suis partie avec le téléphone (et donc internet). Il était incapable de googler pour trouver réponse à ses interrogations. Ça y est, on réussit finalement à dégager notre pointeau qui est incurvé !



En replaçant le carburateur, Laurent fait tomber la tige du starter (choke) dans l’eau. Bon, on va être ici encore quelques jours, le temps que Tom’s Marine Center commande la pièce… Le changement du pointeau aura eu raison d’un des deux problèmes ; la vitesse au ralenti ne change plus selon son propre gré. Je suis contente de ne plus être propulsée contre la coque du voilier ! Cela dit, peut-être que le flotteur est toujours mal aligné… Le moteur s’étouffe encore quand on lui demande soudainement une accélération de vitesse soutenue. Par élimination, on pense maintenant aux bougies d’allumage, à la pompe qui alimente le bol du carburateur ou bien à une fuite (électrique ou de fluide)… Laurent grogne, il ne veut plus recommander la marque Yahama à personne. Par contre, selon l’avis des mécanos, Yahama, c’est ce qui se fait de mieux. À croire qu’on est dans le pétrin.

Aymeric dort. J’en profite pour réparer ma SUP (Stand Up Paddle Board). Le tapis, mais surtout la poignée, se décolle. Comme c’est le seul moyen de la transporter… En jouant pendant l’après-midi avec Aymeric dans le cockpit, j’ai copieusement arrosé le rail du voilier. Je me penche pour prendre le G-Flex (l’époxy pour PVC/dingy et planche) sous le banc ; l’un des coffres de rangement est mouillé. Ce n’est pas normal. Purée ! La coulisse noire indique bien une fuite du rail. Windfinder annonce plus d’un mètre de pluie demain. Ce sera du bon ruban adhésif gris jusqu’à ce qu’on puisse sceller les vis.


Au moins, ça nous a permis de faire l’autruche. Si on est toujours sur place à réparer le voilier, c’est qu’on est toujours des live-aboards, non ?