On the road again

Titusville, Florida (Daytona Beach, St-Augustine) — Cumberland Island, Georgie
Départ le 14 mai — arrivée le 16 mai 2017
47 ; 48 ; 62 milles nautiques

Dans l’Intracostal à la barre de dorénavent, bien décidé à en finir avec la Floride, Laurent turlute — chantonne — depuis deux jours On the Road Again du chanteur western Willie Nelson. C’est étrange comme j’étais persuadée qu’il s’agirait d’une petite excursion pépère — peinarde —, serpentant au milieu de la démesure floridienne. À la fin de la première journée, la trombe d’eau qui s’est abattue sur mon visage a eu l’effet d’une bombe à retardement… Il faut attacher sa tuque — son bonnet — avec de la broche sur l’Intracostal ! Au moins (pardonnez-moi cette grossièreté), on n’a plus la tête dans le cul. Le moral est de nouveau au rendez-vous pour profiter au maximum de nos deux derniers mois en vadrouille.

L’Intracostal

13 mai
Alors qu’on se navigue tranquillos vers Cocoa Beach, la bande de nuages noirs dans le ciel laisse présager l’arrivée imminente d’un grain puissant. Saluons-le (en langage marin, ça veut dire baisser les voiles au plus sacrant !) Laurent, regarde, il pleut déjà là-bas. Il a juste le temps de fermer les hublots que le vent grimpe de 5 nœuds à 20, puis à 30, puis à 40 nœuds pour atteindre 48 nœuds ! La pluie, froide, me fouette la face pendant que j’essaye tant bien que mal de protéger l’I-Pad qui nous sert de GPS.

L’Intracostal

C’est quand même ironique de se taper notre premier grain à voile dans l’Intracostal ! Loin d’être un carrousel — manège forain fait de chevaux de bois —, ce n’est pas un grand huit non plus – roller coaster. J’y prends même du plaisir, ce que je me garde bien de dire à Laurent sur le coup. Il faut faire face au vent pour enrouler le génois qui faseye à s’en déchirer à l’avant du voilier. La vague demeure faible, même si elle est courte et rapprochée. Je ne vois plus notre position sur l’écran et seul le profondimètre m’indique que notre manœuvre me rapproche dangereusement d’un haut-fond. Je redresse la barre pour me rendre près de la bouée rouge la plus proche. Je sais que j’y aurai au moins 9 pieds d’eau sous la quille. Tranquillement, le vent diminue ; on peut passer sous le pont sans danger de heurter les piliers. Le vent demeure trop fort par contre pour qu’on puisse s’ancrer maintenant pour la nuit, sans protection aucune. On poursuit donc notre route jusqu’à Titusville.

L’Intracostal

14 mai
Merde qu’il faut être con pour se retrouver sur l’Intracostal à la fête des Mères. C’est quoi le lien, si peu rationnel soit-il ? Il fait un temps splendide ; la chaleur est de la partie. Ma foi, toutes ces bonnes gens qui possèdent un bateau moteur, quelles que soient la taille et la force de l’engin, sont sur l’eau aujourd’hui ! Le phénomène prend la même ampleur que lors du jour de l’an près de Miami ! L’Intracostal est suffisamment large par endroit pour qu’on soit épargné des vagues qui happent le littoral et rebondissent sur notre coque. L’érosion des berges, ils ne connaissent pas ici…

ces bonnes gens

Près de Daytona (il va falloir que quelqu’un m’explique l’attrait touristique de l’endroit parce que vu de l’Intracostal, il n’y a pas plus moche), les bateaux se multiplient et les vagues prennent de l’ampleur. Je doute que ces bonnes gens sachent même qu’il y a une quille de 5 pieds sous mon voilier ! C’est à moi de prendre la barre quand, à l’approche d’un pont, le voilier devant nous fait volte-face et s’ancre au milieu du chenal ! J’essaye de faire signe à la femme pour savoir s’ils ont des soucis. Rien. Impossible, entre la centaine de chaloupes, cruisers et autres qui virevoltent autour de dorénavent, un voilier au génois avance droit sur moi. J’ai les poils des bras qui lèvent…

– Laurent, je n’ai pas de jeu. Je ne peux pas aller à tribord, l’autre est ancré !
– Va à bâbord !
– Mais il n’y a pas de fond !

J’ai bien vu 7 pieds dans un chenal qui en fait 20 normalement… Sans heurts, on termine notre course effrénée à Daytona pour la nuit. Hier, à Titusville, j’ai réussi à avoir la ligne du numéro 1800 rapportez-vous. Comme ils n’ont pas assez d’officiers, l’immigration demande aux possibles malfaiteurs de s’autodéclarer chaque soir où ils jettent l’ancre en Floride. Qui sait quand il faudra mettre la main sur ces malfrats ! Mieux vaut savoir où ils sont… Ce soir, impossible de joindre qui que ce soit. J’ai parlé pendant une heure avec Gaby avant d’abandonner. C’est que j’ai faim.

Daytona

15 mai
Chouette, ces bonnes gens d’hier sont de retour au travail ! Seuls quelques gentils retraités sur des pontons — navire à caissons flottants — ralentissent pour nous saluer. Un autre huit heures en perspective… Aymeric s’est transformé en petit morveux. Au moins, il n’y a plus de fièvre. Je mange aussi des ibuprofènes pour diminuer la force du pic-bois qui a élu domicile dans ma tête.

St-Augustine. La quai de service

St-Augustine la belle prend forme au loin vers la fin de l’après-midi. On n’a presque plus d’eau, de diesel, mais surtout, on doit absolument vider le réservoir d’eau noire. Ça sent la merde, littéralement, dans notre cabine, le coffre, le cockpit, etc. Laurent dit même avoir vu une coulisse disgracieuse le long de l’évent tribord. Un petit appel VHF à la marina municipale et on se dirige vers le quai de service. On nous demande de s’amarrer à bâbord du quai de service du côté intérieur du port. Euh. Comment Laurent fera-t-il pour faire faire un 360 degrés à dorénavent au milieu des quais ? Merde, le premier gars attrape bien notre amarre, mais le courant fait culer le derrière du voilier loin du quai. Le gars gesticule… je me doute bien que Laurent ne comprend rien, le son du moteur dans les oreilles.

17 h 30 n’est jamais une bonne heure, semblerait-il. Le quai de service est plein, les demandes fusent de partout. Laurent se prépare pour l’aspi-crotte (le pomp-out) et, pour lui donner un coup de main, je pompe la toilette. ERREUR ! Il hurle « arrête, putain, ça fait une fontaine dehors ! » Les coliformes fécaux dansent sur le pont ; l’odeur est insoutenable. Je rigole. J’attrape le jerricane pour arroser le tout bien comme il faut. Au tour du diesel. Laurent remplit nos jerricanes et termine tout juste le réservoir du bateau quand on se fait dire qu’il faut foutre le camp au plus vite du quai de service. Quoi ? Le proprio du slips où nous sommes attachés vient juste de rentrer de ballade. Depuis quand alloue-t-on des slips au quai de service ?! Les réparations du pont ont exigé que soient relocalisés plusieurs bateaux… le quai de service sert maintenant de ponton. On n’a même pas eu le temps de remplir l’eau… je cours à la marina pour payer notre carburant et prendre un coffre d’amarrage pour la nuit. M2, madame, juste là derrière nous.

On a touché le fond… Juste derrière le cata.

Laurent, franchement insulté, nous dirige vers le coffre d’amarrage M2 situé entre deux catamarans. Je n’ai rien contre le fait en soi. Tout simplement, ils n’ont pas beaucoup de tirant d’eau. Quelques secondes plus tard, j’entends le cri du profondimètre puis la frustration de Laurent. On a touché terre. Merde ! C’est la deuxième fois qu’on s’échoue en tentant de s’ancrer/s’amarrer. Je veux joindre à la VHF le maitre du port quand Laurent reprend son calme. « Attends, il y a peut-être assez de fond devant ». C’est le cas. Sous la quille, un beau 9 pieds. On est crevé, c’est le cas de le dire. L’Intacostal a cet effet débilitant sur nous.

L’Intracostal

Toujours impossible d’avoir qui que ce soit au 1 800 rapportez-vous. Je m’arrache les cheveux après 45 minutes ou bien je raccroche et profite de la douche ? Ça ne prend pas la tête à Papineau pour choisir la douche. Au quai, on rencontre Sandra et Mathieu d’Amanoka — Benéteau 2000 de 36 pieds. Un brin de jasette plus tard, on se rend compte qu’on est presque voisin sur le Plateau Mont-Royal et qu’on est aussi probablement les derniers Québécois qui rentrent sur MTL à trainer en Floride. Ils sont super sympas ! Tiens, ils partent aussi demain matin…

16 mai
Bridge of Lions

  • Brige of Lions, Bridge of Lions, Bridge of Lions.
  • This is sailing vessel From Now On (dorénavent). We are north bound and we are requesting an opening please.

Depuis que j’ai un nom de vaisseau anglo, je n’ai plus de souci aux ponts… Amanoka est devant nous. À la VHF, Sandra me dit qu’ils passent par l’Intracostal aujourd’hui. Je ne suis juste plus capable ! La passe vers la mer est mal cartographiée puisque les hauts fonds bougent sans cesse. Cependant, les bouées de balisage du chenal sont replacées régulièrement par les Coasts Guards. J’ai le plaisir de voir qu’ils ont changé d’idée et qu’ils nous suivent en mer ! La pression par les pairs. C’est à Laurent de s’interroger. Ils vont à Cumberland… c’est 60 milles nautiques, tu crois que… Chéri, je suis partante pour Cumberland Island. La mer est belle, il faut beau.

Cumberland Island. Devant Bob, c’est un lamantin.

C’est un cri d’allégresse en jetant l’ancre dans ce parc naturel. « C’est fini la Floride ! On est en Goergie ! » Le 1800 rapportez-vous change de numéro et l’officier me répond dans la minute. J’aime la Goergie. Je me rapporte, chenapande que je suis. Merde. Comme dit Laurent, je me trahis en rapportant nos échecs des deux derniers jours. Je veux juste que tout soit dans le satané système. Erreur ! Je dois rappeler en Floride puisqu’il ne peut rien pour moi. Par contre, si ce n’est pas fait, je risque d’avoir des soucis dans le cas d’une deuxième demande de cruising permit. Je prends une grande respiration. Je téléphone au deuxième numéro 1800 qu’il me donne. J’ai une charmante voix qui me demande de répondre à un sondage sur mes vacances de rêves. Je gagne une croisière pour deux dans les Caraïbes ! Purée ! Je ressaye le bon numéro pour la Floride.

Cumberland Island

C’est un jeu de dés incroyable ; soit tu tombes sur Mr Mollason ou bien sur Mr Hard Core, en 5 minutes ou bien en 2 heures. J’ai Mr Hard Core en 5 minutes au bout du fil. Sur un ton condescendant, il m’avise qu’il ne peut rien pour moi. En tant qu’étranger (j’ai l’impression qu’il pense que je viens de vénus !), c’est ma responsabilité d’attendre au téléphone jusqu’à ce qu’on me réponde. Je ne dois pas bouger jusqu’à ce que j’ai communiqué ma position. Il répète, le voilier doit être stationnaire ! Il ne peut pas faire d’entrées à rebours dans le système. Je peste entre mes dents. Clairement, je déteste la Floride !

Amanoka
Sandra d’Amanoka

Une chance qu’Amanoka est ancré derrière nous dans un paradis naturel. Ils nous invitent pour l’apéro. Youpi !

Cumberland Island
Cumberland Island