Old Bay
Solomons Island ( Oxford, St-Micheals) — Annapolis, Maryland
Départ le 1er juillet — arrivée le 5 juillet 2017
34; 20; 13; 38 milles nautiques
En s’arrosant copieusement avec la pompe à haute pression sur le pont, on a fait la danse du froid. Dame nature, dans sa grande bonté, nous a accordé quelques jours de répit de ces chaleurs accablantes. Quelques jours sans faire l’étoile, nue, pour dormir ! Ça m’a aussi passé par la tête de faire la cuisine déguisée en Ève…

La différence d’esprit entre un retour précipité qui exige plus de 50 milles nautiques par jour et le fait de prendre son temps, de faire du tourisme, est stupéfiante. Cerise sur le sundea, le beau temps est venu nous saluer, sans thunderstorms ni squalls. Ce matin, je me suis fait extirper du lit par une mouche, le volatile insecte tentait désespérément de se faire avaler. C’est vrai que j’ai peut-être un léger manque de protéine.

Bien sûr, on ne pourra s’attarder encore très longtemps sur la baie de la Chesapeake, visitant ses petits ports de pêche et villages pittoresques. Il faudra bien se botter les fesses et revenir sur Montréal. D’ailleurs, dorénavent est à vendre. Il y a à peine une semaine et Google me laisse savoir que quelqu’un zyeute notre maison-bateau. Je suis déchirée entre la volonté de le vendre plus ou moins rapidement, plus ou moins aisément et mon désir d’y vivre, tout simplement. C’est bien de ma maison dont il s’agit. En la regardant voguer au loin sans moi, ce seront mes souvenirs qui m’enverront la main en signe d’adieu. Laurent me rappelle de sortir ma tête d’autruche de son trou avant de laisser couler une fontaine de larmes sur mes joues. Faire de la voile au lac Champlain l’été, c’est trop chronophage pour une jeune famille. J’ai bien beau être (pseudo) organisée, difficile de tenir deux « maisons » simultanément, surtout quand l’une peut prendre la poudre d’escampette ou faire naufrage sans avertissement. On a peiné tout un matin pour faire des photos stylisées, Aymeric qui défaisait mon rangement en bien moins de temps que ça ne me prenait pour arranger carré et cabines.

Dans l’estuaire de la Chesapeake, les bons plans pour s’ancrer bien protéger sont infinis. Old Bay, c’est le petit nom de la Chesapeake. C’est aussi une épice bien connue des locaux pour rehausser le gout savoureux de la chaire de crabes bleus. Comme on n’arrête pas le progrès, je me suis achetée des croustilles Old Bay ! Baila, immatriculé à Annapolis, fait des ronds dans l’eau dans la Chesapeake depuis des lunes. C’est son carré de sable, pour ainsi dire. Brad et Lynn, excités, nous ont planifié une course à voile pour en visiter tous les racoins, rivières et ruisseaux. Leur manière à eux d’être des hôtes parfaits, mais surtout de retarder le plus possible la fin de leur voyage.

S’il y a une chose que me surprend encore, c’est bien de voguer en compagnie de la famille Falk (monsieur Brad et madame Lynn ; on a adopté les coutumes locales) depuis mars, et ce, pour plusieurs raisons. Les routes de croisières divergentes et la météo poussent généralement les amitiés à un niveau d’intimité qui peut prendre des mois voire des années sur la terre ferme. Amie aujourd’hui, meilleure amie demain, right ? De même, cette intimité vite gagnée peut pousser à l’isolement tout aussi rapidement. Quoi si l’on choisit une autre voie, chéri ? Pour Baila et dorénavent, il n’en est rien. La première chose qu’Aymeric demande le matin, c’est de jouer avec les amies de Baila (Anna, Izzy et Avery). Je suis toujours aussi surprise d’avoir fait le chemin du retour avec eux depuis les Bahamas, plus qu’agréablement surprise que nos dates d’arrivée respectives concordent. Ils ont bien, tout comme nous, fait quelques compromis pour assurer la pérennité de notre flottille. Si, une journée, on ne souhaitait pas bouger, ils nous attendaient quelques milles nautiques plus loin, vice et versa. Eh, on a bien lavé à la main nos bobettes ensemble avec Lynn.


Je ne sais pas pourquoi, mais depuis le départ de Katmandou au début janvier, nous n’avons fréquenté que très peu de familles québécoises/canadiennes-françaises (on a trouvé des Acadiens !). Il ne faut pas s’imaginer que nous étions la seule famille franco aux Bahamas, loin de là. Peut-être qu’au tréfonds de mon être, j’avais soif d’échange culturel. Certes, mais pourquoi ne pas fraterniser avec des Bahamiens ? En y réfléchissant, le mode de vie des live-aboard est peu propice aux rencontres marquantes, étendues dans le temps, avec la population locale. Si bien qu’on s’est solidement lié d’amitié avec des Américains de Philadelphie, germophobes et addicts au Purell.

Je n’avais jamais eu, auparavant, l’opportunité de jeter un regard sur la culture américaine de l’intérieur ; de poser ouvertement un tas de questions malaisantes, de discuter des quirks de nos voisins (envahisseurs) du sud. Outre nos connaissances de la musique pop et d’Hollywood, Brad a toujours la mâchoire qui tombe quand je lui balance une blague anglo à connotation sexuelle. Morning wood, someone? Your English is good! Il fait le même compliment à Laurent, je devrais peut-être me poser des questions. Sous la lumière bleu néon de son cockpit pimpé, on a jasé de la moumoute de Trump et du fait que Baila devrait déménager à Montréal avant la construction du mur américano-canadien ; on a célébré le Vendredi saint juif plus souvent que notre nombre total de messes catho depuis au moins 10 ans (Sabbat Salom) ; discuter de la gratuité du système de santé canadien/provincial, de santé publique (le congé de maternité, d’allaitement), de la course à l’avocat et aux poursuites judiciaires ; du caractère traditionnel des états du sud ; on a rigolé de l’accent anglais des bridge trender.

Baila nous a donc traînés à Solomon’s Island, lieu de plaisance qu’ils fréquentent quelques fois par été. Après une superbe journée de voile pour nous y rendre, dans un vent arrière de 15 à 20 nœuds, on s’est dit pourquoi pas un coffre d’amarrage ? Amarré à côté de Baila, on a subi, serein, la seule tempête de la semaine avant de se faufiler à la piscine pour la journée. Crabe, pétoncles, crevettes. Solomon possède un quai de pêcheurs et j’ai vu Laurent en revenir avec… des palourdes. Mmm. On a dû quémander à Google des images pour identifier correctement ce qui se trouvait dans le sac de provisions. Le lendemain matin, Aymeric m’a dit « maman, la coquille est encore prise dans mes dents ! » Bien sûr, on avait pris soin d’enlever les coquilles, seule la bibitte ornait notre assiette.

Baila, par enchantement, a réussi à charmer suffisamment Laurent pour qu’on s’ancre dans le parc naturel de Calvert Cliffs State Park, qu’on y passe trois heures puis qu’on lève l’ancre une deuxième fois pour la jeter à Hudson Creek, de l’autre côté de la baie. Un exploit. C’est la première qu’il accepte de bouger deux fois dans la même journée. En signe de remerciement, on lui a foutu la paix. Dans sa bulle, Laurent a tamisé tout l’après-midi le sable des parois rocheuses qui contient les dépôts fossilisés de dents de requins. Il en a trouvé neuf et j’ai pu, finalement, mettre la main sur une carcasse de limule, Lili. Elle pue légèrement et je m’apprête à faire de la taxidermie… Le capitaine m’oblige à la rangée sur le pont derrière les jerricanes jusqu’à ce que l’odeur disparaisse.

On voulait se rendre à Washington, sur la rivière Potomac, pour célébrer le 4 juillet, fête de l’indépendance des États-Unis. Ils l’ont l’affaire les amaricains sti ! Le vent nous a fait changer d’idées et c’est à Oxford, charmant petit village côtier, qu’on s’est ancré pour voir les feux d’artifice. Il était grand temps de trouver un parc. On a déambulé comme des touristes, léchant nos glaces, le regard fixé (d’émerveillement ou bien d’écœurement) sur nos alentours.




Baila a proposé de terminer notre tour de la baie par le village touristique de St-Micheals. Je suis allée dans un magasin, un vrai magasin et… j’ai eu une conscience. Non seulement parce qu’Aymeric pleurait à s’en fendre l’âme, ne pouvant me suivre à l’intérieur avec sa glace, mais, malgré mon envie de m’acheter quelque chose, n’importe quoi, bordel, je n’avais besoin de rien et je le savais. Faux espoirs, Katmandou (Phil et Gigi), en Eurovan, passait pas là en même temps que nous pour se rendre en Floride et récupérer leur catamaran. On ronflait déjà quand ils ont mis les pieds à St-Micheals.


