La boucle est bouclée
Mechanicville, New York (Whitehall, Fort Ticonderonga, Valcourt) — Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix marina, Gosselin
Départ le 19 juillet — arrivée le 23 juillet 2017
45 ; 20 ; 51 ; 34 milles nautiques
Alors, c’est quoi le retour ? C’est de se blottir dans sa cabine avec son chéri et de se dire, le sourire aux lèvres et le point dans les airs, « Ça y est. On l’a fait ! On l’a fait ! » — on a réalisé notre rêve et bonus, on n’a pas divorcé. C’est d’avoir les mains moites au volant de ma voiture parce que je roule à plus de 100 km/heure. C’est d’acheter 4 cartons de lait UHT à l’épicerie au cas où on en manquerait alors qu’on habite sur le Plateau Mont-Royal et que les dépanneurs sont légion. C’est de voir Anna sortir une poêle pour se faire des rôties alors qu’il y a un grille-pain sur le comptoir et d’entendre Lynn dire « Oh honney ! » C’est de voir le regard perplexe d’Aymeric quand il demande si la maison sur terre va bouger et qu’on lui répond non. C’est de faire sécher au soleil les petites bobettes pleines de pipi avant de les mettre dans le sac de lavage alors qu’on a une machine à laver. Surement que l’on sera mésadapté socialement encore un certain temps…

On est revenu habillé de la même manière qu’à l’automne 2017, c’est-à-dire en jeans, manteaux et bonnet de laine sur la tête ! C’est quoi ce binz ? Et juste avant de franchir la frontière canadienne, on est passé à la douane. Aymeric a amorcé la conversation avec l’agent Tremblay en anglais ! J’ai bien changé son petit nom, soyez sans crainte. Quel bonheur que de parler à quelqu’un d’autre que maman et papa, ça faisait un bail. Ce que je ne savais pas, c’est que le petit bonhomme avait laissé une surprise dans le voilier. Les agents nous informent, après avoir disparus James Bond style derrière leur vitre fumée pendant quelques minutes, qu’ils doivent fouiller le voilier. All right… Je le vois mettre ses gants lentement, un sourire à la commissure des lèvres. Bien sûr, on a trop d’alcool — vive le rhum des Bahamas. Chenapande que je suis, j’ai des spécimens de coquillage qui ne devaient pas quitter leur bercail et une feuille de corail mauve récoltée sur une plage. J’ai caché le tout dans un équipet de notre cabine pour ne pas que rien ne se casse…

Aux douanes, on y est arrivée plus vite que prévu. Résultat, c’est un bordel monstre à l’intérieur. Le pire de mémoire de femmes, c’est-à-dire qu’il y a des pâtes sur le comptoir, le plancher, dans la descente (Aymeric m’a aidé à cuisiner) ; de la vaisselle sale qui déborde des éviers ; des sacs de plastiques avec les effets d’Aymeric puisque j’ai commencé à rapailler ; notre linge éparpillé. Le douanier doit même tasser des trucs pour rentrer dans le voilier… Tous les espaces planes sont occupés de bébelles. Tremblay, il a dû faire un tour sur lui même et, découragé, il est sitôt ressorti ! Il n’a pas passé plus d’une minute à l’intérieur, sérieux. Au final, on a bien rigolé avec Laurent, le bordel, c’est fantastique ! J’ai moi-même été frappée d’épouvante en revenant dans le carré. J’ai découvert, flottant dans l’eau brunâtre de la cuvette des chiottes, une grosse crotte ! Merci, Aymeric, d’avoir fait ta part pour effrayer l’agent Tremblay.

Laurent, qui jongle avec l’idée de faire un medley depuis déjà très longtemps, me confie la tâche. De la ligne de départ à la ligne d’arrivée, ce sera donc ma plume qui se sera fait entendre. Et comme j’ai couché sur papier mes émotions et mes sentiments tout au long de la dernière année, loin de moi l’idée d’être à nouveau fleur bleue (je le suis, mais je vous épargne). J’ai pleuré mon retour seule dans mon cockpit. Ce n’est donc pas tant un bilan qu’un medley.

Le truc le plus bizarre qui nous est arrivé, on a frappé un pélican qui dormait sur l’eau, la nuit, en pleine mer ! Notre plus grosse bourde… À l’automne, laisser aller l’une de deux amarres dans une écluse et se retrouver perpendiculaire au mur de béton !
Personne n’a été malade du voyage, si ce n’est Aymeric qui nous a refourgué un rhume américain et qui, surtout, a eu 4 jours de diarrhée jusqu’à ce qu’on réalise qu’il buvait l’eau de l’Intracostal pendant les baignades. Le moment où l’on a eu le plus peur ? À l’entrée d’un chenal de classe A, de nuit, Laurent réalise, à la barre, que la petite lumière verte près de lui, c’est un cargo qui transporte plus de 5000 voitures. Pour ma part, c’est de voir à quelques pieds de notre proue la coque d’un deux-mâts alors que le vent rugit à plus de 35 nœuds pendant la nuit.

La mère de la créativité est bien l’emmerdement. Seul Aymeric ne nous a jamais dit « mais qu’est-ce que je vais faire, c’est plate ». Laurent m’en a même voulu quelque peu d’avoir trouvé un créneau « artistique » pour m’épanouir quelques mois. C’est bien la photo et si vous n’avez pas vu la différence entre les premiers billets et les derniers, c’est que votre mémoire est courte. À force de se creuser la tête, il a bien fini par se remettre à programmer une application, pour le plaisir. Comme quoi tous les goûts sont dans la nature.
Ce qui m’a le plus fait chier, mettre de la crème solaire, encore et toujours. Avec un petit recul, on en comprend que l’Intracostal est un couteau à double tranchant. La sécurité que la voie navigable offre et le charme des villages de la côte Est vaut certainement que l’on s’y attarde. Cependant, avec un trawler, au moins on ne se serait pas plain qu’il y est impossible ou presque d’y faire de la voile…

Le palmarès de l’objet le plus inusité qui nous a le plus servi est sans contredit remporté par la pompe à jus de dinde. La nôtre vient du dollar ou deux, de maque Betty Crocker. Elle permet d’aspirer tout liquide, peu importe où il se trouve. Bien que dubitatif au départ, on est très content d’avoir suivi le conseil (inhabituel) de Pierre (Pierre de Lune).
Je suis encore sidérée d’avoir laissé sur terre L’oréal, parce que je le mérite bien pour chausser mes pieds, avec des bas bien sûr, de godasses de clodo. Ma dernière coupe de cheveux (la seule de l’année) remonte à mars et je l’ai troquée contre un appel et 15 minutes de wifi ! Je me suis maquillée à Noël et à ma fête. Dès qu’il fait chaud, je porte une robe ultra colorée qui me donne des airs de Spinnaker, la voile ballon à l’avant de la proue. C’est une copine qui me l’a donné en me disant « mon mari trouve que j’ai d’l’aire de porter un sac de patates… » On a quelques fois oublié nos gougounes pour les douches publiques (marina, piscine, quais), on a donc chacun une petite verrue en souvenir du voyage.

J’ai demandé à mon père d’apporter aux Bahamas de ses chandails à manche courte qu’il ne porte plus pour les offrir à Laurent. Le coton a une capacité illimitée d’absorber la sueur, mais, en revanche, plus c’est le cas, moins la machine à laver aura un quelconque effet. Bref, je n’en pouvais plus. Mon père à déballer 5 chandails au dessin plus con l’un que l’autre — Snoopy, Jaws, Mignons, etc. Si bien qu’alors que j’achetais un nouveau chandail pour Laurent, Lynn m’a dit « oh non, il ne l’aimera pas, il n’y a pas de dessins ! »
Ce qui nous a fait le plus triper, voire le paysage de notre cour arrière changer constamment, mais surtout, de remporter les régates amicales contre le Catalina 42 de Brad ! Entendre la respiration des dauphins, bien calés dans nos draps. Vivre dans un monde parallèle, sentir le vent sur notre visage. Produire notre électricité avec le soleil, être propulsé par le vent. Voir notre gamin grandir et expérimenter le monde avec ses sens.

C’est quoi le plan maintenant ? Faire du canot-camping, de la voile sur le Fleuve avec les Blanchons, s’acheter un Hobi Cat avant de dénicher le 42/45 pieds de nos rêves.
Grosse fortune en mer
Ironique, je m’apprête à écrire à propos de l’aspect financier du voyage et ça sent subitement la bouse de vache… Je sais bien que c’est une véritable insulte au sens commun québécois que de chiffrer un rêve et pourtant… Il se monnaye ce voyage. Perso, on ne pouvait se permettre de payer une hypothèque sur le voilier pendant cette année. On a donc mis de l’argent de côté pour esquiver les banques, point barre. Ça aura pris sept ans pour chausser les bottes de sept lieux. On n’a pas rencontré notre conseiller financier, François-Olivier Brochu, pour constituer une mise de fonds, mais bien pour devenir propriétaire d’une coque.

Si je fais la somme des dépenses occasionnées, le voyage nous aura coûté au bas mot environ 40 000 $. Tout est toujours question de calcul, mais c’est une méchante majoration si l’on pense que Bernuy estimait, en 2010, à 15 000 $ son voyage. Je n’inclus pas le prix du voilier, mais les réparations nécessaires avant le départ et au retour. Laurent avait calculé un budget mensuel de 2000 $ canadiens (26 000 $). Ce montant venait de nos placements respectifs ; il était déposé dans nos comptes de banque respectifs. À quoi bon se priver d’intérêt cumulé en laissant 12 voire 14 miles dollars dormir dans un compte à intérêt infinitésimal pendant 12 mois ?
2000 $ canadien, c’est suffisant, mais ce n’est pas la folie non plus. Au contraire de nos habitudes terriennes, on a décidé d’un commun accord de défrayer les coûts du voyage en divisant l’ensemble des dépenses par deux et non d’ajuster le montant que chacun doit payer en fonction de nos salaires antérieurs respectifs. Le taux de change, loin d’être en notre faveur aux Bahamas et aux États-Unis, nous donnait environ 1350 $ par mois. Dans notre feuille Excel, partagée sur nos comptes Google, Laurent a créé deux colonnes, l’une pour le prix en canadien, l’autre pour le prix en américain. Ça a été vachement utile pour calculer les fins de mois. Il y a laissé le taux de change fixe à 1,4 tout au long de l’année.

Un oublie pour lequel on s’est tapé sur les doigts, c’est de ne pas adapter le diagramme à tarte qui comprend nos grandes classes de dépenses. On a repris celui de l’appartement, ce qui est bête. Un mois l’essence allait dans la catégorie « voilier », l’autre mois, le diesel était classé dans « maison ». On sait donc combien on a dépensé en tout pendant l’année, mais il faudrait faire une investigation trop importante pour donner dans le détail. À ne pas oublier, le retour des impôts au mois de mai est généralement fêté ! Comme on a travaillé que 6 mois, mais qu’on a été imposé sur l’année, on jouit d’un bon montant. On ne l’avait pas pris en compte dans notre budget, le montant a simplement gonflé notre coussin de sécurité.

On n’a pas eu à piger dans notre coussin qui, dans notre cas, avait été fixé à 10 000 $. Comme on quittait le pays pour moins d’un an consécutif, on avait toujours droit aux prestations pour enfants. Ces montants mensuels non négligeables ont servi pour l’approvisionnement massif de décembre et de mars (en Floride avant la traversée vers les Bahamas et à George Town, quand tu dois refaire les stocks parce que ça fait trois mois que tu n’as pas vu une épicerie plus grande qu’un dépanneur) de même que pour l’équipement de pêche. C’était notre deuxième coussin, celui-là beaucoup plus accessible que le premier. Les mois des inspections du moteur hors-bord et du moteur diesel, on s’est serré la ceinture pour tout faire rentrer dans le budget.
Les factures les plus importantes ? La mise à l’eau, le démâtage et le remâtage, l’hivernage, l’assurance maladie contractée pour les Bahamas et les États-Unis (semblerait-il que si l’on ne fait aucune réclamation, l’agente pourra revoir à la baisse l’année demandée et la réduire à un six mois à l’étranger . De cette manière, on aura droit à un remboursement). Pour ceux qui partent et qui veulent en jaser davantage, on est ouvert. Envoyez-nous un courriel.

Ressources
Danielle Desjardins, agente d’assurance bateau pour les voyages au long cours
Osborn-Lange
(514) 694-4161
Jenefer Laplante, agente d’assurance maladie pour les voyages au long cours
SecuriGlobe
1-866-550-2444
François-Olivier Brochu, conseiller financier
Primerica
(819) 561-0783

Bibliographie des ouvrages imprimés à bord
Alan McKibben et Susan McKibben, Cruising guide to the Hudson River, Lake Champlain & the St-Lawrence River, Lake Champlain publishing compagny,
2014, 256 p.
Anne-Laure Jacquart, Composez, réglez, déclanchez ! Le photo pas-à-pas, Eyrolles, Paris, 159 p.
Carl Mailhot et Dominique Manny, La V’limeuse autour du monde – tome I & II, Groupe nautique Grand Nord et Bas-St-Laurent, Montréal.
Jean-Luc Pallas, L’énergie à bord, Voiles et voiliers, Paris, 2012, 129 p.
Jill Schinas, Kids in the cockpit. A pilot book for safe and happy sailing with children, Adlard Coles Nautical, London, 180 p.
Le cours des Glénans – 7e édition, Seuil, Paris, 1043 p.
Luc Bernuy, L’Intracostal. Guide de préparation du départ vers le sud, sur son bateau. Les Éditions Objectif Sud, Montréal, 2011, 372 p.
Marie-France Perreault, Se soigner avec les moyens du bord, La belle lurette, 1996.
Marie Nieutin et Hervé Nieutin, Histoires de partir. Rêver, préparer, vivre une croisière sabbatique – 3e édition, Publication maison, 2012, 477 p.
Michelle Meffre, Le guide de la cuisine à bord. Et vogue la cambuse, Vagon, Espagne, 287 p.
Paul Humann et Ned Deloach, Reef Fish identification. Florida, Caribbean, Bahamas—4e édition, New World, Jacksonville, 537 p.
Stephen Pavlidis, The Exuma Guide — 2 édition, Seaworthy Publications, Port Washington, 2000, 217 p.
William Shellenberger, Cruising the Chesapeake, International Marine, Camden, 1993, 432 p.
Médiathèque
Laurent Breillat, Apprendre la photo.fr
C’est l’auteur des cours/vidéos que j’ai suivis pour enfin m’amuser avec mon réflex.

