Bulle familiale — maman sur les flots

Vero Beach, Floride — Titusville, Floride
Départ le 13 mai — arrivée le 14 mai
58 milles nautiques

La lumière est chatoyante ce matin ; elle me réconcilie avec l’Intracostal. Assise dans le cockpit après un départ en douceur, je jongle avec l’idée d’écrire un billet sur la parentalité en mer. Cette journée est le fruit du hasard. Pourtant, elle est excellente ; c’est la fête des Mères !

Walter, un cadeau de Micah (3 ans) sur Passion Rebelle

Alors qu’on envisageait ce voyage en mer, j’épluchais tous les blogues que me dénichait Google avec les mots clefs enfants/childrens. Arbitrairement, on avait alors choisi de se calquer sur Marie et Hervé Nieutin – Histoires de partir – dont la plus jeune avait deux ans au moment de leur départ aux Antilles. On a dû paraître tellement sérieux dans notre entreprise que jamais personne n’a contesté le bien fondé de partir en famille. Je m’attendais à devoir justifier becs et ongles notre choix et surtout nos mesures de sécurité pour Aymeric… zip, nada. Notre entourage avait alors confiance en nous et, en retour, notre projet m’apparaissait facilement réalisable. J’avais lu à l’époque que les équipages avec enfant(s) sont généralement beaucoup mieux préparés ce qui laisse présager un voyage au long cours d’autant plus aisé.

Vero Beach, propice aux réflexions

Malgré des heures de lectures sur le sujet, j’ai dû faire appel à des trésors d’imagination pour cerner sous toutes ses coutures « le comment » du gamin en mer. Ces interrogations s’imposent tout naturellement avant le départ. Nous avions convenu de vivre avec Aymeric sur notre maison-bateau, ne restait plus qu’à savoir comment l’embarquer dans le projet, ce qu’il fallait apporter pour sa sécurité, son bien-être, son amusement et j’en passe.

Maman, j’ai le rhume!

Petite anecdote. À la marina Gosselin, un beau soir de juillet, notre petit bonhomme, fatigué, s’est mis à pleurer. Il voulait rentrer à la maison, retrouver sa chambre et ses jouets pour s’endormir. Laurent, occupé à faire autre chose, lui répond sans y réfléchir : « tu n’as plus de maison ». J’aurais pu lui tordre le cou sur-le-champ, ce que je n’ai pas fait bien sûr. La crise de larmes d’Aymeric a pris des proportions colossales jusqu’à ce qu’ensemble, on se cale confortablement dans les cousins de sa cabine. « Aymeric, voici ta cabine dans notre nouvelle maison-bateau. C’est ici que tu habites maintenant. Regarde, ce sont tes jouets, tes toutous — peluches —, tes livres. Elle est jolie n’est-ce pas ta cabine ? » J’ai eu droit à un sourire timide. Puis, lentement, ses paupières se sont fermées, sa petite main serrant mon pouce.

Un camion de transport, un camion de transport!

Très rares sont les fois où j’ai réussi à trouver réponse au « comment ». C’est comme s’il s’agit d’un savoir ancien trop bien gardé… seuls les initiés peuvent y accéder ! Les interrogations liées à la préparation du départ et aux mille et un gestes du quotidien avec un enfant sont légitimes et j’y reviendrai dans la deuxième partie de ce billet qui sera publié sous peu. Dans mon livre à moi… Pour le moment, je souhaite prendre quelques lignes pour témoigner de ce qui me marque profondément de ce voyage en mer avec ma famille. Comment, sur les flots, ma perception du bonheur et de ce qu’est être maman s’est transformée.

Tôt le matin sous le pont d’Addison Point

Je pense ne choquer personne en écrivant que j’ai vécu un choc identitaire aussi grand que celui de Laurent en devenant parent. Simone de Beauvoir l’a si bien écrit. Elle n’était pas née femme, je ne suis pas née mère. Éventuellement, la liste des choses à faire dans une journée s’est écourtée sans que j’en ressente de grandes frustrations. Mes envies d’exaltations, de montagnes russes, de grandeur se sont estompées pour faire place à un sentiment de bien-être. Le plaisir d’être ensemble tous les trois sous la couette alors que la neige couvre les arbres de son manteau blanc. Vous savez, ces petits moments de bonheur où l’on s’accorde le droit de vivre dans le moment présent. À la suite d’un congé de maternité d’un an, je suis retournée au travail. Il m’apparaît aujourd’hui que la vie de voileux aura parachevé la naissance et, surtout, l’épanouissement de la maman en moi.

Tire la langue!

En toute humilité, je me suis sentie fort dépourvue dans les premiers temps du voyage. Cet automne-là, au froid de l’Intracostal, s’ajoutaient plusieurs « tracas » du quotidien. En parallèle de ma vie antérieure, celle d’avant le départ, j’avais le regard tourné « ce qu’il y avait à faire ». Derrière ce mur mental, je fuyais l’état des choses. Ma vision de moi-même, dans ses multiples déclinaisons, ne me renvoyait jamais l’image de la mère au premier plan. Pourtant, c’était bien mon chapeau pour les mois à venir… C’est un sentiment diffus. Vous savez, au Québec ou ailleurs, lorsqu’on demande à une femme ce qu’elle fait dans la vie, sa réponse n’est jamais « je suis mère ». Pauvre femme, elle serait tellement ringarde ! N’aspire-t-elle pas à autre chose dans la vie ? Et puis comme professionnellement, je me cherchais encore, j’étais pas mal perdue !

Aussi étrange que ça puisse paraître, j’ai dû accepter de me voir confier tout d’abord des tâches traditionnellement féminines, dont l’éducation d’Aymeric, sans broncher. C’est triste à dire, mais je ne niaise même pas (sans blague). Je me suis sentie écartelée pendant un certain temps. Une main pour le voilier, l’autre pour le bébé, non? Non, j’ai les deux mains occupées par Aymeric!

Ça y est, le pont s’ouvre…

Aujourd’hui, je savoure de plus en plus le plaisir d’être mère sans avoir à prétendre être simultanément autre chose. Sur un voilier, ce rôle possède une telle valeur intrinsèque qu’il n’est pas nécessaire de se justifier. Le plus naturellement du monde, les voileux rencontrés ont la plus haute estime pour la capitaine en second/principal mate dont le rôle est aussi crucial sur un bateau qu’au temps jadis. La maman du bord, c’est un peu comme un parapluie qui recoupe l’éducatrice, l’infirmière, la cuisinière — si elle aime, bien sûr. À part le pain, c’est Laurent qui est au fourneau sur dorénavent — et j’en passe.

aarrgghh, la moustiquaire m’attaque!

C’est là, je crois, le courage qu’insuffle cette vie dictée par la lenteur. Les journées s’écoulent en laissant amplement le temps de poursuivre ses envies personnelles tout en étant avant tout maman. Le changement identitaire ressenti pendant la première année de vie d’Aymeric s’achève doucement. À tel point que j’ai envie pour la première fois d’éduquer mon fils à la maison. Avant le départ, une amie m’avait confié vouloir travailler trois jours semaine pour passer plus de temps avec son fils. Je m’étais alors dit « mais elle est malade ! » C’est voir comment je suis aujourd’hui autre.

Vero Beach

Je ne rêve pas de retourner au travail pour m’y épanouir et, par le fait même, de retrouver cette identité professionnelle, signe social de qui je suis. Mes pensées voguent vers la mer, vers le voyage au très long cours pour récréer cette bulle familiale tissée de liens solides, resserrée par les jours passés en compagnie les uns des autres. Que du bonheur. J’ai même peur que l’Intracostal sonne le glas de ce mode de vie de voileux. Que je sois de nouveau écartelée.

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Quoi qu’il en soit, je peux aujourd’hui affirmer que je connais mon fils. Savoir être auprès de lui est pour moi la plus grande leçon de ce voyage. Je dois lever mon chapeau à Laurent qui a été l’instigateur et le témoin de ce changement. Toujours là pour me seconder et prendre la relève quand la marmite déborde. « Arrgghh, je capote, j’ai du pipi sous les pieds et de la bave dans la face ! » À mes yeux, non pas qu’il avait à le faire, mais il a su prouver sa valeur en tant que père.