Snow birds

Cedar Creek, NC (Hammock Bay; Carolina Beach) – Southport, NC
Départ le 17 novembre à 6 h 35 – arrivée le 21 novembre à 11 h 49
50 ; 46 ; 12 milles nautiques

Rinka-Rankala

Sortant de l’Oriental Marina, Laurent me présente ce qui aurait dû être le plan D d’hier… une crique paradisiaque. Au détour des rinka-rankala de l’Intracostal se dessine bel et bien baies et merveilles. Un peu de repos avant d’entreprendre les deux prochains jours qui doivent nous mener dans le coin de Wrightville où la culture du sud des États-Unis roule sur la langue de ses habitants. Un parc, probablement pas, mais Skipper Bob (le rival/antagoniste de Bernuy. Je blague, les deux livres se complètent très bien en fait) promet des crevettes ! Fait-il le fanfaron des mers ? Little Hobo se repose de sa journée en haute mer en se balançant gaiment au bout de ses amarres. Avec lui vient la douce promesse de pouvoir nous régaler ce soir même de crustacés fraîchement pêchés par le dur labeur de son équipage. On a la part belle, je l’avoue, je l’avoue. C’est plus de 3 livres de crevettes pour un total affolant de 20 $ que l’on cueille en annexe, directement au quai des chalutiers. Quelque chose me turlupine tout de même en mettant les pieds dans la petite usine située sur les berges de la baie. Tout le personnel est noir alors que le patron (très gentil, mais là n’est pas la question) est blanc… L’esclavagisme tout comme la guerre de Sécession semblent avoir laissé des scarifications bien profondes dans le tissu social de cette partie de la Caroline du Nord. N’est-ce pas là de la discrimination endémique ?

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Little Hobo
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Cedar Creek
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Little Hobo

Il n’y en aura pas de facile !

C’est le retour non attendu des ye-ha qui se sont tenus bien tranquilles jusqu’ici. Les 50 milles nautiques d’aujourd’hui nous conduisent tout droit dans la gueule du loup, le Camp Lejeune. Pour y arriver, l’intercostal serpente dans une zone militaire où, si la lumière d’entrée clignote, fais demi tout au plus sacrant et prends tes jambes à ton coup. Comme il n’y a pas d’autres ancrages à des milles nautiques à la ronde, on a les fesses bien serrées en apercevant au loin le feu de notre destinée. Rien. Premier soulagement. Ce bref répit est vite histoire du passé. On entend des coups de canon et, de part et d’autre du chenal, on peut voir des bonshommes orange dissimulés dans les hautes herbes. Un peu plus loin, des chars d’assaut. Ce sont des malades !

Gigi et Philip, qui sont passés par ici quelques jours avant nous, ont vu trois voiliers s’échouer tout juste derrière la bouée 61A en étant littéralement projetés à l’avant. À première vue, on se demande si Navionics a fumé quelques narcotiques. Une rouge et puis de suite une verte indiquent aux navigateurs de faire un S en moins de 2 minutes. On est bien au fait du haut fond qui, vengeur, réclame de nouvelles proies. Je me suis même dit que pour mieux se taper les proues, il envoie des dauphins… Alors, je récapitule. Il pleut des coups de canon (ma foi, sans les boulets), il faut tourner sur nous-mêmes en moins de 2 pour ne pas nous planter et germer sur place et une famille de dauphins rivalise en figure de ballet juste à côté de nous.

Laurent, preux capitaine à la barre, nous sauve d’embarras. Put put put jusqu’à Mile Hammock Bay, creusé artificiellement par les ye-ha. Ne pas s’aventurer du côté gauche, la baie n’est pas draguée (dans le vocable nautique, ça veut tout simplement dire qu’on extrait le fond pour rendre un chenal plus profond). En entrant dans la baie, Laurent pique vers la gauche. Oui. Il a fallu que je lui pose la question moi-même après avoir mis l’ancre ; plus question que je m’emporte pendant une manœuvre. « Ben là ! » dit-il indigné. « Si les ye-ha ! s’excitent cette nuit, je ne veux pas être devant leur quai ! En plus, c’est sûr qu’ils vont venir. L’hélicoptère nous tourne autour ». Les ye-ha ou bien un échouement, j’avoue que le choix est déchirant. Le ciel ne nous tombe pas sur la tête, aucun de ces sinistres augures ne se réalise.

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Le côté gauche de la baie

Dans les contes de fées et de princesses, il faut toujours que le héros survive à trois péripéties pour prétendre réclamé son dû quel est-il. Ce matin, on attache notre tuque avec de la broche pour franchir les trois ponts de la journée – pas certaine si une traduction est nécessaire ici… d’ailleurs, écrire pour soi-même en ayant en tête deux cultures cause de la schizophrénie, je vais devoir être traitée au retour. En tout cas, à ma belle famille de l’autre côté de l’Atlantique, ça signifie qu’il faut bien se préparer, que l’épreuve sera rude. Si hier c’étaient les ye-ha, aujourd’hui ce sont les ponts. Le premier n’ouvre qu’aux heures pour laisser voguer les imbéciles — pardon, les aventuriers — fendant les flots à cette période de l’année. Impossible de calculer les changements de marées et de courant en raison des inlets qui parsèment l’Intracostal. Conséquence, on se rend compte 15 minutes après la fermeture du pont qu’on va devoir poireauter les prochains deux mille nautiques pendant 45 minutes avant la prochaine ouverture. Enfin, la cloche de 10 h sonne le glas de notre passage futur. Rien. Nada. Purée. J’appelle le roi du pont à la VHF. C’est impossible qu’il ne puisse pas nous voir, on est trois à tourner en rond devant lui. Contrarié, il accepte avec réticence de bien vouloir faire pivoter son pont pour mon seul bon plaisir. Leçon apprise ; ils recevront tous le doux appel de ma voix.

Si le deuxième se passe sans anicroche, le troisième exige de moi doigté et manigance. Si ce n’est pas la manœuvre la plus difficile que j’ai effectuée depuis notre départ, que Zéphyr envoie un front froid ! Habituellement, c’est Laurent qui négocie les ponts. Dans la mesure où il va bien, tout roule. Le jour où je devrais, dans un contexte d’urgence, me taper un pont sans pratique, je vais craquer. Donc me voilà, put put put, qui avance lentement. Un vieux loup de mer, un livre posé sur ses genoux, arrive à ma hauteur sur son petit voilier et m’avertit que ce pont s’ouvre et se ferme très rapidement. « Hurry! » Bon ben, y’en aura pas de facile ! La scène va comme suit : un premier voilier tourne déjà devant le pont. J’ai 16 pieds sous la quille, mais tout juste à ma droite se trouve des quais. À gauche, à quelques mètres, je vois du sable ! Entre ces deux obstacles et dorénavent, de petits bateaux de pêche énervés nous passent à une vitesse fulgurante sans aucune pensée pour leurs vagues et les cinglés à la barre (c’est tellement archaïque la voile, non ?) C’est une autoroute des deux côtés. Ça y est, on est maintenant trois voiliers à se mordre la queue dans ce cirque. Le dernier me coupe tout juste quand le pont s’ouvre (pourquoi, pourquoi ?). Une procession de cruisers, en sus du courant, rend l’eau mouvante sous les piliers de pont. Je suis aspirée hors du chenal. Hourra, on arrive à Carolina Beach dans deux heures et basta la plaisance à moteur.

Roule ma boule

Attaché à une boule — un mooring — l’objectif du capitaine était bien de nous protéger du front froid actuel, 6 jours pile-poil après le dernier très gros coup de vent qui à causé une chute incroyable de la température. On en a bavé pendant deux jours entre les vagues et le hurlement du haubanage. Comme la dernière fois, on est en chandails à manche courte et en sandales tout juste avant l’événement fatidique. Des réjouissances sont à venir. On retrouve le Katmandou de Philip et de Gigi qui danse tout près de dorénavent, lui aussi à boule. Ils ont par chance réussi à dénicher un couple au cœur sur la main qui offre de nous donner un lift à l’épicerie. Diana et Phil sont libres aujourd’hui. Voyons, il faut faire la liste d’épicerie, s’assurer d’avoir des fonds, préparer les sacs et nettoyer le frigo ! On subit encore les conséquences de notre amour inconditionnel des fruits de mer. Je fronce les sourcils à chaque fois que j’entre dans la maison-bateau ; ça pue, c’est horrible. Bien sûr, hier, alors qu’il faisait chaud, je relaxais les pieds dans le sable. Là, il fait 10 degrés et je dois mettre mes mains dans un liquide gélatineux malodorant au fond du réfrigérateur. Comme tous les jours d’épicerie, je suis claquée et j’ai le spleen. Autant d’énergie à déployer pour cette tâche anodine dans une vie parallèle. J’ai tout bien placé avec l’aide (rajouté une bonne demi-heure) d’Aymeric. J’espère un jour avoir l’âme aussi charitable que Diana. D’une bonté divine, elle s’est offerte pour ramasser notre bonbonne de propane au quai, la faire remplir à la quincaillerie et nous la rapporter. Je peux à nouveau cuisiner pendant environ deux mois !

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Carolina Beach

 

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Des surfers
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Les mouillages étant peu nombreux pour les prochains milles nautiques, Philip, avec les tuyaux du coin, a trouvé un quai gratuit pour la nuit juste après la grande baie de Cap Fear. Prochainement, un autre conte de fées… de trois ponts !

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dorénavant en tête
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Southport