New Yorkers
Kingston, Ny (Bear Mountain State Park, Croton’s Point) — Manhattan, Ny
Départ le 1er octobre à 8 h 15 — arrivée le 4 octobre à 13 h 12
75 miles nautiques
Blue moon
Ça y est, je suis maintenant sur la liste des méchants ; liste tenue par les agents de l’immigration des États-Unis. Pour cause, je n’ai pas respecté à la lettre le paragraphe II de mon cruising permit. Gare à mon bas de Noël qui risque d’être charbonneux. Sans blague, j’avais compris, comme d’autres amis, qu’il faut se déclarer lorsqu’on change de région. J’ai eu la bonne idée de ne pas « savoir » que Kingston se trouve avant le mid-Hudson Bridge et que, conséquemment, si je téléphone dans la région de New York, j’ai tout faux. Bien sûr, l’officier (the Guy) me dit que je me déclare à la mauvaise région, quoique ce ne soit pas nécessaire de téléphoner à Champlain. All right. Sauf qu’arrivé au parc Bear Mountain, j’ai un G.I. Joe de la bureaucratie au bout du fil. Je ne me suis pas signalée depuis plus de 5 jours (j’avance à 3 nœuds, je passe plusieurs nuits au même endroit et je suis toujours dans la même région !) Cela constitue un « breach of protocol, a felony. » Je suis passible de 5000 $ d’amende. Je dois lire à G.I. Joe le deuxième paragraphe de mon cruising permit qui stipule qu’il est impératif que comme alien, je me déclare à chaque endroit où je jette l’ancre ou que j’entre dans un nouveau port. Le tout dure plus de 30 minutes avec sermons, anxiété et numéro de passeport. The whole nine yards. J’ai maintenant un post-it écrit en rouge pour me rappeler de téléphoner TOUS les soirs.
Le lendemain, j’ai un officier au nom imprononçable au téléphone qui me demande de rappeler dans 30 minutes. WTF. Puis, il me dit que comme j’ai téléphoné hier, je n’ai pas besoin de me signaler aujourd’hui. Moi : « I beg to differ. I was told that I had already had one warning and that I have to call every time I move. » Lui: “All right, where are you?” Moi: “Bear Mountain State Park.” Lui : « What, that’s like one hour from where you were! » Moi : « Yes, I Know. » Lui : « OK, call tomorrow when you get to the 79th street boat basin. » Au final, il m’inscrit dans le système.
Aujourd’hui, c’est le summum. L’officier au téléphone, que je soupçonne d’être chez elle puisque j’entends des enfants, m’envoie dans les orties. « Please, do not call every day. We do not have the staff for that. This is the SAME region. » Strike la nouille. Moi : « I know, but I was told by G.I. Joe that I already had a warning in my file and that it is of the utmost importance that I call every day. » Elle me répond: “G.I. Joe does not work here full time, just once every blue moon (mais merde que je suis chanceuse, quand même). À quelqu’un derrière : “G.I. Joe is out of hand, he told them to call every frigging day!” Alors que je lui demande si j’ai vraiment un avertissement, la ligne coupe… je suis à Manhantan, j’ai un réseau 4 G au maximum de sa puissance… Yup, je dois en déduire que je me suis fait raccrocher au nez. La morale de l’histoire, je ne la sais pas encore !

La maison-bateau bouge. Tout le temps. C’est un truc de fou dixit Aymeric.
Comment va le grenouillon ? Il est fidèle à lui-même, c’est-à-dire qu’il lit, fait de la patate moulée (pâte à modeler), se déguise avec ses vêtements d’hiver, construit une route pour sa tractopelle et la bétonnière dans son lit, etc. On ne pouvait pas le savoir à la livraison, mais notre modèle s’adapte très bien à la vie sur un bateau.
Avertissement. Ça demeure que l’état mental de tous peut être précaire lorsqu’on habite avec un enfant sur un voilier. Par exemple, il se peut que tu te casses le cou parce que ton fils à laisser un hippopotame mauve sur la dernière marche de la descente. Sinon, il y a peu de produits frais et pour pallier la situation, tu lui offres des vitamines qu’il ne veut pas prendre. Allez, je continue : la crise, il n’y a plus de lait (il est où le dépanneur ein, il est où !) ; ça fait plus de trois jours que tu n’as pas mis pied à terre, lui non plus. Il est à cheval avec ses souliers sur ton dos et te donne des coups de pieds pendant que tu balaies les restes de pâte à modeler en petites boules collées sur le plancher ; il pleurniche : “je ne veux pas m’habiller !” (En temps normal, ça va. Sauf que là, il fait 13 degrés et c’est super humide. Et puis pour l’habiller dans sa cabine, je dois être à genoux, la tête penchée. Il se tortille et prend appui sur moi, alors que je manque déjà horriblement d’équilibre. Le tout en me léchant le nez. ARRRGGGHH) ; je suis sale, toujours sale parce qu’oups, “j’ai échappé mon bol maman. Oh non, mes mains étaient pleines de Nutella.” La maison-bateau d’une famille, c’est comme la maison. C’est beau de loin et c’est loin d’être très propre.

Surtout, je me suis fait la promesse qu’Aymeric ne devrait “souffrir” d’aucune manière de notre décision de partir en année sabbatique sur un voilier avec un toddler. Ce qui peut sembler ironique, c’est qu’il ressent facilement un manque d’attention positive, même si on est avec lui tout le temps. Résultat, la peste guette. C’est tout à fait normal, le voilier exige énormément, plus qu’Aymeric en fait. Après s’être ancré, 20 minutes de jeu dirigé par monsieur avec maman, ou papa, ou les deux, sont au menu tous les jours. Donc, ces fois où tu veux juste te reposer et prendre l’apéro avec ton chéri après 9 heures de moteur, tu peux juste oublier ça. Tu vas construire une tour pour un poulet en plastique.

À l’inverse, il allège incroyablement l’atmosphère dans la maison-bateau. Quand tu as juste envie de mordre parce que le stresse t’envahit, Aymeric te regarde et te dit “Robert la colère ?” Merde. Le ballon de baudruche dégonfle rapidement. Surtout, il est à la source de nos plus belles découvertes, comme le zoo caché au milieu de la forêt du Mountain State Park et son superbe pont.




Fin de mois
Peu de gens peuvent se vanter (ou se cacher) d’avoir réalisé, pour chaque mois des sept dernières années, un diagramme circulaire qui d’un coup d’œil permet de voir toutes les catégories des dépenses mensuelles. Si le crédo de Laurent c’est : « le seul crédit raisonnable, c’est l’hypothèque d’une maison », le mien, lorsqu’on s’est rencontré, c’était : « L’Oréal, parce que je le mérite bien. » Le crédit à la consommation, en Amérique du Nord, c’est chose courante. Est-ce qu’on a fait un compromis ? Ben non… C’est moi qui suis passée du côté illuminé de la force en rejoignant Laurent et les autres fourmis de ce monde. Sauf, quand, de temps en temps, la cigale intrinsèque en moi revient d’un lèche-vitrine pow-wow en enlevant subito presto les étiquettes de mes nouveaux vêtements. Laurent fait semblant de ne pas voir, moi je fais semblant qu’il n’a pas vu. Bref, c’est la fin du mois et avec elle la mise à jour des comptes. Ouf. Après avoir dépensé chez Gosselin quelques milliers de dollars cet été, le voyage devait (doit) assainir nos finances. On a un budget suffisant et, selon le second crédo de Laurent, « un budget, c’est fait pour être respecté. » Sauf qu’après avoir passé la dernière semaine à quai, j’avais comme une petite boule dans le ventre à l’idée d’être au mouillage et la rivière Husdon en offre très très peu. Avis aux navigateurs. De deux choses l’une ; ou vous budgétez les marinas jusqu’à New York (en général deux dollars du pied) pour votre paix d’esprit, ou bien vous vous aventurez en hors-piste dans des eaux poissonneuses peu profondes (c’est notre option). J’ai bien failli flancher, mais Laurent m’a rappelé que c’est notre destinée dans l’Intracostal et les Bahamas. Il faut donc bien s’y faire et surtout, New York, même dans l’hôtel le moins cher de la place, ce n’est pas donné. On ne peut pas creuser un trou abyssal dans le budget d’octobre de suite tout de même. Marina ou tourisme new-yorkais ? Pfff. Ce n’est même pas une question.
Voilà. Welcome to New York.


