Les trois font la paire

Whitehall, NY – Fort Edward, NY
Départ à 10 h 30 — arrivée à 16 h 30
19 miles nautiques
4 écluses

Teamwork

Hier, on a aidé un gros huileux de 65 pieds à accoster au quai public et il m’a remercié en me disant : « ah ouais, vous allez passer un an à trois sur le voilier ?! » Incrédule, il poursuit : « mais tu sais combien de temps les gens voient leur femme ou leur mari dans la vraie vie. Pas plus de 15 heures par semaine. On a des amis qui ont fait le même voyage que vous l’année dernière et ils sont revenus divorcés après 14 ans de mariage ! » Sur ces joyeuses paroles, il met à fond sa génératrice et la musique de Marjo et de Gerry Boulet jusqu’à tard dans la nuit. Charmant.

Aujourd’hui, à mon grand bonheur, nos tribulations lui donnent tort. Un total de 4 écluses à franchir entre le point de départ et le point d’arrivée. À la première, l’éclusier ne se fait pas chier et n’ouvre que l’une des deux portes de l’écluse. Grrr, Laurent navigue tant bien que mal. Le hors-bord est rangé sur le tableau de bord de l’annexe, aucune chance qu’il se tape à nouveau un mur.

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Dédales de marécages. Il ne manque que les mangroves et les crocodiles.
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Tout d’un coup, dans le midwest américain.

À la deuxième écluse, on arrive mal à rester arrimé puisqu’il n’y a pas de quai dans l’écluse, seulement des cordes qui descendent dans l’eau ou bien des tubes en inox encastrés dans le mur. En vitesse, je descends les défenses qui sont trop hautes et se mettent à rouler contre la coque du voilier. Cette fois, c’est le bout du mât, devant le voilier, qui vient doucement toucher le mur. Laurent, stressé, lâche sa corde et met le moteur en marche arrière, ce qui éloigne encore plus l’arrière du voilier. On est à travers dans une écluse ! On n’a qu’une amarre et il me crie : « lâche ! » Moi : « Non, c’est interdit ! » En panique, au moteur, juste avant que l’avant ne frappe pour de vrai, il gueule : « Putain, Claudie, fait quelque chose ! » Réaction en chaine, je saute sur le pont de l’écluse, j’attrape l’un de nos chandeliers. Je stabilise le voilier et, doucement, je le ramène contre le mur. Tout le monde se calme. L’éclusier rigole et puis nous souhaite bonne chance. Yup. À la troisième écluse, on attend un deuxième voilier, seule âme qui vive sur ce canal. Je suis avertie sur le « Chanel 13 », à la VHF, qu’il est possible que je croise une barge. Je reste en vigie au bout du voilier et put put put, rien dans mon champ de vision.

La barge en même large

C’est à Fort Edward que la journée tire à sa fin… Justement arrivée devant la 4e écluse, j’appelle pour demander à l’éclusier si je dois faire quelque chose de spécial et s’il y a une barge. Il me répond de garder « your west » et tout devrait bien aller. Du moins, avec le son grincheux de la VHF et l’accent américain, c’est ce que j’en comprends. Erreur. Je ne vois pas la barge, Laurent, si. Et quand je m’en rends compte, le voilier qui était derrière nous dans la troisième écluse, Chinati, m’avertit de faire demi-tour, que la barge va sortir le long du quai. Laurent, en chef, tourne et on s’en va doucement sous le pont, plus loin en avant de l’écluse. Sauf que là, j’entends le capitaine de la barge crier « We have no way to maneuver, they have to get out of there and fast! They have 13 seconds to decide! Do not stay under the bridge, there is not enough water! » Sur la VHF, le capitaine du Chinati me dit de faire demi-tour et de garder mon côté bâbord. Qu’on doit le suivre au plus sacrant ! Oui, ça j’avais compris ; en retard, malheureusement. Le capitaine de la barge m’a bien dit de garder « your port », mais j’ai été assez twit pour ne pas apprendre les termes marins anglais les plus élémentaires avant de partir en voyage en bateau aux États-Unis. Désolée, je ne peux ici qu’être vulgaire. Tabarnak. Dans tout juste 5 pieds d’eau (c’est parce que notre tirant d’eau est de 4,7 pieds !), avec brio, Laurent tourne à nouveau et on s’installe derrière Chinati. Je suis en proie à un rire hystérique, sans trop savoir quoi faire. Je relaxe vite fait ; Laurent est capable de maintenir le voilier « sur place » avec le moteur. Putain qu’il m’impressionne ! Il y a 8 pieds sous la quille. Ma zone de confort se trouve plutôt autour de 12 voire 30 pieds. Dans l’écluse, encore une fois, l’éclusier se fout de notre gueule et rit bien gras. Le capitaine de Chinati, lui, nous demande d’où on vient. Moi : « du lac Champlain, c’est la première fois qu’on s’aventure par ici… » Lui, avec un sourire : « Trois-Rivières. Il faut bien sortir de sa zone de confort. » Plus tard, arrivée devant le quai de la petite ville de Fort Edward, Laurent, toujours à la barre, prend du temps à se décider. Gilles, le capitaine du Chianti, lui conseille quelques manœuvres, dont un arrimage à reculons, le vent dans le dos (à préciser qu’il s’agit là aussi d’une première). Moi (ce n’était pas ma meilleure heure), je ne fais que crier ce que Gilles dit du quai et ordonne à Laurent d’écouter les manœuvres.

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Je sais qu’il y a mieux comme photo, mais on voit bien le voilier, la barge et l’écluse.
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Pendant ce temps…

Un peu plus tard, je prends quelques instants sérieux pour demander pardon à Laurent. « Tu es super bon à la barre ; tu manies vraiment bien le voilier. Par contre, tu dois prendre plus rapidement tes décisions et seul toi peux les prendre. Je suis vraiment super désolée d’avoir crié pour que tu suives les manœuvres de Gilles, comme si tu étais incapable de réfléchir par toi même. Désolée surtout de n’avoir rien fait d’autre que de rajouter une dose de stresse supplémentaire. Te voir manœuvrer comme ça, je te trouve génial et tu ne peux pas savoir comment j’apprécie être avec toi. Jose même dire que tu es plus sexy que dans notre train-train quotidien. » Laurent : « toi aussi ti-oui, toi aussi. » Il me regarde avec des yeux pétillants : « Comment avoir d’l’air de nouilles ! » Et pendant tout ce temps, Aymeric joue dans le carré. « Le monte-charge et la remorque et là, je fais avancer le bateau ! »

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Il n’y a pas qu’Aymeric qui tripe au parc!