Esprit grégaire

Cape May, NJ — Salem, NJ
Départ 6 h — arrivée à 15 h
60 miles nautiques

Free rider

Depuis notre arrivée très matinale à Cape May, où l’on a rejoint Gisèle et Philipe de Katmandou, on ride sur leurs bonnes grâces. L’expression free rider signifie que d’aucuns profitent de biens et de services sans en payer la note. Voilà. On a donc pris plusieurs douches à leur marina, mais surtout, fait notre lavage ! J’en étais à mon ultime paire de bobettes (petite culotte). Règle générale, le sens commun veut que tu puisses les porter à nouveau si tu les tournes… Laurent, pour une raison inconnue, soutient que les bas de bikini peuvent, eux, être portés trois fois ! Puis, on en a surtout profité pour avoir un répit parental. Je sais, ce n’est pas glamour, mais survivre à quatre semaines moins trois jours d’empathie, de fermeté compréhensive, d’amour inconditionnel, de bleus (oui oui, j’ai plusieurs ecchymoses, Aymeric me prend pour l’Himalaya), t’en peux juste pu. Donc, subtilement, on a tiré profit du statut confirmé de grands-parents de Gigi et de Philipe pour… leur laisser Aymeric et juste redevenir normal. Il a arrêté de me demande « oû sont les amis maman ? » et ça me fait vachement plaisir pour lui.

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miam miam – village de Cape May
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Makers Making – village de Cape May

Comme ils devaient attendre la fin des réparations sur leur catamaran, on a tiré un maximum de profit de leur présence pour faire du tourisme (moi) et réparer l’annexe (Laurent) – c’est dans ces moments (et sous les ponts très bas et les chenaux très peu profonds) que je ne me lamente pas trop de mon sort de co-capitaine/principale équipière. Il ne fait pas trop pitié quand même, je me suis tapée le ménage à genoux de tout l’intérieur du voilier et, simultanément, la garde d’Aymeric. Go go go je suis un cheval ! J’ai donc visité le village de Cape May avec nos grands-parents adoptifs et passé une superbe journée à la plage (Laurent a daigné venir, après plusieurs heures à remettre l’annexe en son état plus ou moins original). Je sais que c’est hyper cliché, mais on a vu des dauphins jouer dans l’eau tout près de la berge et on était tout excité.

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Gigi, Aymeric & Philip
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La plage au mois d’octobre

Yee-ha

On a passé quatre jours dans le havre de Cape May sous les cris de guerre de la United States Coast Guard, valeureux soldats. Il me semble que quelque chose cloche… faut-il vraiment être armé jusqu’aux dents et chanter en cœur en pleine nuit pour réussir l’exploit de protéger et de sauver les personnes en détresse dans les eaux territoriales américaines ? Dire que la garde côtière canadienne ne peut, sans un policier, accoster un voilier. Disons qu’être près de la Coast Guard fait naître une certaine détresse, c’est vrai. Par contre, ça permet de remarquer leur fort esprit grégaire. Quand l’un hurle, tous poussent la chansonnette joyeusement. Ils ont dû être plus d’une centaine à crier Yee-ha et one, two, three, four. Ça, c’est sans parler de la musique style piano électrique pré-enregistrée qui résonne du complexe pour marquer le levé et le couché du soleil. De loin, on aurait dit qu’ils se tenaient tous la main… Laurent me regarde : « s’ils tournent tous ensemble autour d’un gros arbre, on dégage de là ! » Avant, il a bien pris le temps de me dire que soit sa mère soit son père lui avait interdit de devenir, et je le cite, acteur porno ou bien soldat.

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United States Coast Guard

Le hic, c’est que les transients (lire ici les bateaux en transit. Va chercher pourquoi, c’est comme ça que les États-Uniens nous appellent), comme nous refusent de payer une marina. Donc on suit à la lettre (pour les plus néophytes) les recommandations de Skipper Bob. On est donc plusieurs à jeter l’ancre dans un rectangle exigu, juste derrière un chenal. L’esprit grégaire quoi. À notre arrivée, après une nuit en mer, Laurent est bien heureux de voir d’autres voiliers. 24 heures plus tard, il râle fort (et là moi aussi) parce qu’un membre du troupeau a osé se foutre tout juste à côté de dorénavent. Il faut donc réduire la chaîne pour respecter le nouveau cercle d’évitement. Qui sait s’il a même testé son ancre pour plus de sureté. On se met à crier Yee-ha nous aussi pour montrer notre mécontentement. Aucune réaction dans le monocoque à quelques pieds du nôtre… 

La baie du Delaware

L’esprit grégaire est toujours bien vivant. Nos amis, Sylvain et Monique de C’est la vie, rencontrés ce printemps à la marina Gosselin, nous téléphone inquiets de na pas nous avoir vu arrivé à Annapolis pour le boat show (la fin de semaine du 8-9-10 octobre). Ce n’est pas que le Yee-ha nous tapait sur le système, mais il fallait bien qu’on parte un de ces jours, non ? On a donc attaché notre tuque avec de la broche (mmm, on a fait de gros gros efforts) ce matin pour réussir à lever l’ancre à 6 h tapant. Après le rituel matinal (silencieux, pour nous. Les Yee-ha, eux, sont déjà très actifs dehors), consternation, il manque de l’huile dans le moteur. Laurent me regarde, mi-endormi, mais avide de savoir ce que j’en pense… « ben on va juste en mettre d’autre, c’est quoi le problème ? » Lui : « Oui, mais on doit le vidanger dans 10 heures et puis il ne sera plus 6 heures. » Pourquoi cette fixation qui peut paraître simpliste à première vue ? Skipper Bob recommande de partir de Cape May deux heures après la marée basse pour réussir à traverser la baie du Delaware en une journée, accompagné par un courant de 2 nœuds. C’est maintenant chose faite ! En route, j’ai eu le loisir d’éviter de justesse un abordage. C’est Laurent qui a sauvé la mise : « qu’est-ce que tu fous ? Tourne ! Il est ben trop proche ! » Il y a le Nomad à quelques mètres de moi et, perdue dans mes pensées, je m’attends à ce qu’il s’écarte de ma route. C’est lui qui me dépasse après tout. Ben non toi, il me fonce droit dessus ! Euh, un coup de barre de Laurent et on est sain et sauf, mais je suis toujours sur le cul de savoir qu’il n’y avait personne dans ce cockpit, seul le pilote automatique. Pour finir la journée, un immense bloc rattrape dorénavent et nous fait dévier vers une centrale nucléaire. SVP, pas un autre Yee-ha !

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Le Nomad qui a effleuré la bouée

L’herbe folle

Plus de 9 heures de route (mi-voile, mi-moteur) pour aboutir devant la ville de Salem (merci Skipper Bob) au milieu des herbes folles de la rivière. Ils annoncent de forts coups de vent ce soir, mais on est bien protégé par le fourrage. Toujours est-il qu’on pensait être seul, loin d’être panurgique ce soir. Non, il y a une marina cachée derrière et un homme très gentil est venu nous souhaiter la bienvenue et s’enquérir de nos possibles besoins. Comme quoi…

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Salem, NJ