Discrétion
Atlantic Highland, Sandy Hook, NJ
Mardi
Notre première impression d’Atlantic Highland, dans la baie de Sandy Hook au sud du port de New York, n’est pas très favorable. Luc Bernuy, L’Intracosal, le guide, fait référence à un très grand espace de mouillage juste derrière le brise-lame municipal. Je pense bien que c’était le cas, un jour, avant l’ouragan Sandy… Depuis, la baie a été aménagée par le Yacht Club et conséquemment, l’espace est envahi par un énorme quadrilatère digne des rues new-yorkaises (les mouillages vont de A à Z, couplés de 1 à 6). On jette l’ancre tout près du brise-lame (toujours la petite voix du marin prudent — et un peu stressé, le pauvre — qui se fait entendre « trop près ? ») coincé entre la première rangée de voiliers et le chenal.

Tout juste arrivé, on veut bien débarquer du bateau et sentir la terre ferme sous nos pieds. Bernuy recommande d’être discret au quai. Quai, quel quai ? Impossible de repérer un endroit ou amarrer l’annexe (dinghy dock). Nada. Je demande mon chemin à trois personnes dans un anglais que j’estime tout de même compréhensible et j’obtiens 3 réponses différentes me menant à une impasse. C’est peut-être plus un casse-tête qu’un quadrilatère ! On repère tout juste un panneau qui accorde ses bonnes grâces (15 minutes only). Toujours est-il qu’on apprend qu’il est impossible de payer pour prendre une douche. Par contre, elles sont gratuites avec le mouillage qui, lui, coûte 50 balles par nuit… Une navette vient vous chercher à votre voiler entre 10 h et 20 h autant que cela vous plaira ! Euh, c’est quoi cette arnaque ? Le capitaine de la navette m’a même dit qu’un jour, une Américaine du Maine est venue de New York en kayak et qu’elle a accosté au quai. À son retour de l’épicerie, elle a trouvé le Home Land Security penché au-dessus de son embarcation.
Mercredi
Atlantic Highland, c’est la porte de l’Atlantique. On attend donc, comme notre nouveau comparse mouillé à quelques mètres de nous, la fenêtre météo qui nous permettra de lever les voiles vers Cap May. Une fenêtre météo, c’est tout simplement la bonne combinaison entre la force du vent et sa direction. Ce n’est pas aujourd’hui ni demain. Tant pis. On occupe notre temps à meilleur escient en s’affairant aux multiples détails qui sont apparus importants depuis notre départ.

Si la division par trop conventionnelle de nos tâches respectives ne me plait guère, elle me permet cependant de vaincre une trouille non avouée jusqu’ici. Laurent s’occupe de réajuster la valve en Y des chiottes pour qu’on puisse finalement éviter un déversement non souhaité dans le réservoir d’eau noire.Il réajuste l’écart entre les dents des treuils (self-tailing winch) qui, par miracle, fonctionnent ! C’est très probablement l’épaisseur de nos anciennes cordes, usées, qui empêchait le mécanisme autobloquant de fonctionner. Il règle le problème du porte-fusible situé dans le coffre d’Harry Potter pour que puisse fonctionner correctement le port USB récemment installé dans le cockpit. Je pars seule avec Aymeric en voiture-bateau ! Le moteur Yahama 9.9, cette bête horrible, a pour effet de me pétrifier sur place. Bien sûr, j’ai fait des cours de voile avec Pierre Ricard (Voile 4-vents) où je devais savoir accoster un voilier avec un moteur hors-bord. Je me repose depuis sur les épaules de Laurent. Sauf que là, le pauvre gars, il n’a pas envie de surveiller Aymeric qui veut mettre sa main dans la toilette ! Donc, le môme et moi, on s’équipe de chaudières, de pelles et d’emporte-pièces et on s’en va au parc. Le départ est digne d’une vedette, mais l’arrivée… se fait à rame. Comme j’ai trop peur de foncer dans le quai, je coupe le moteur un bon 20 mètres avant de pouvoir attacher la corde au taquet. Je sais, à la fois j’ai honte et je jubile. Ça y est, j’ai gagné mon indépendance.

Jeudi
Ils annoncent un front froid assez intense ce soir alors je convaincs Laurent de louer une boule (mon motif ultérieur est bien de prendre une très longue douche et d’avoir le temps de faire l’épicerie sans me soucier des 15 minutes allouées au quai !) La navette vient nous prendre quand des bulles apparaissent à la surface de l’eau. Merde ! Le couvercle protecteur de la boussole, baptiser R2D2 avec amour, disparaît dans les eaux saumâtres du port. Aymeric se fait morigéner, puis c’est mon tour « tu le laisses toujours jouer avec tout grrr. » Bon ben. Comme les folies sont de retour avec le mouillage à la boule, on va au Dîner pour se réconforter. J’ai l’impression d’être dans l’un de mes romans où l’action est dépeinte dans une petite ville américaine (small town America). La serveuse m’appelle honey ! Je m’aventure à lui demander combien je dois laisser en pourboire puisque Laurent n’arrête pas de me dire qu’il trouve que 30 % c’est aberrant (en fait, c’est 20 %). Un client me demande d’où on vient et m’annonce qu’il a failli mourir avec son équipage en route vers les Bermudes quand un cargo est passé à quelques mètres de son embarcation par un brouillard opaque. Le commodore du Yacht Club se lève et me salue. Il me dit qu’en tant qu’invité, on est les bienvenus avec Aymeric au lounge situé sur la promenade.

On laisse Laurent à la bibliothèque pour qu’il glâne le wi-fi… l’objectif est de terminer la carte de notre blogue. C’est fait ! Je poursuis avec Aymeric, direction l’épicerie. Même le ventre plein, j’ai les yeux plus grands que la panse. Résultat, il n’y a plus de place pour Aymeric dans le chariot une fois que j’y ai déposé nos vivres. Il se creuse un petit trou pour ses pieds et s’assoit sur les céréales. Pendant les 20 minutes de trajet jusqu’au port, au pays de la voiture, les gens me regardent d’un air surpris. Une réflexion intense s’en suit. Est-ce que je vais ou non à la buanderie ? Tout est sale et on planifie un 24 heures en mer. Après l’épicerie, deux heures sans jouets à attendre qu’une machine essore notre linge demeurent un traitement cruel et inusité. C’est réglé, on va au parc. On y fait une précieuse rencontre, celle d’Eva. La demoiselle de 20 mois adore les comptines françaises que lui chante sa maman (elle a vécu 5 ans à Paris) et Aymeric se plait à se joindre à elles. Enfin un contact avec d’autres enfants. Aymeric est tout simplement ravi et moi aussi. C’est l’une de nos premières vraies rencontres avec des Américains.
