AARRGGGHHHHH

Jacksonville, FL — St-Augustine, FL
38 milles nautiques

miam miam

The friendly one, c’est comme ça qu’on a nommé le très gentil américain, natif du Rhode Island, qui a appelé Gigi et Philippe à la VHF pour leur indiquer le quai gratuit de Jacksonville. À notre tour, il nous a fourni le numéro de téléphone d’un local, Brown. Ayant fait beaucoup de voilier, Brown aime bien rendre service aux navigateurs qui ont le plaisir de passer près de chez lui. Je suis ultra-gênée de l’avoir au bout du fil et je bafouille des trucs incompréhensibles du type empty tip au lieu de hefty tip (quoique, je ne sais pas ce qui est pire pour une oreille américaine). L’on devine que j’ai profité du covoiturage qu’offre Brown pour faire une épicerie considérable avant de poursuivre notre voie en Floride. Faire l’épicerie n’est pas une tâche légère et, généralement, elle m’incombe… Toute l’affaire est même sournoise et me tombe dessus sans crier garde. Il faut faire la liste, mais surtout regarder ce qui traîne dans les équipets (ce n’était jamais un problème, à la maison. Les repas étaient mangés selon l’ordre cosmique inscrit sur le post-it dûment collé au frigo chaque semaine. Les Anglais disent anal-retentive…) Là, bien, je me rends compte qu’il faut faire au plus vite une soupe aux courges avec patates douces parce qu’elles sont un tantinet en décomposition. Je me retrouve aussi à boire un smoothie aux mangues et aux kiwis, les fruits ayant été récupérés de justesse au fond du filet sous les bananes, les raisins, les pommes, les clémentines et j’en passe. Au moins, cette fois-ci, je n’ai pas mis par mégarde mes doigts dans une substance nauséabonde douteuse. Et puis, « quessé qu’on mange ? » nous taraude toujours. Purée que c’est long faire cette liste. J’ai décidé que comme la tâche me revient, si Laurent ne sait pas ce qu’il veut cuisiner ces 10 prochains jours, c’est moi qui tranche, final bâton.

L’aigrette qui attend mon retour de l’épicerie

Une fois la chasse aux vieux trésors terminée, je m’équipe de la liste, du chariot de camping, des sacs réutilisables, d’un crayon et de mon portefeuille, bien sûr. Une fois rendue sur place, comme ce n’est jamais le même supermarché, ça prend au minimum une heure pour tout mettre dans le panier. Cette fois-ci, j’y étais seule puisque Brown et sa femme n’avaient que deux places de disponibles dans leur voiture. C’est la course au lait UHT, au bagel, au jambon tranché finement, au fromage ovale, à la sauce tamari et je ne sais quoi encore. J’ai bien rigolé tout de même. La caissière, mon sac de jujubes en main, me demande mes cartes d’identité avant de me laisser partir avec la caisse de bière de Laurent. « Sorry, but you look less than thirty. ». Le lait UHT ne cesse de tomber par terre dans le stationnement et les gens me klaxonnent pour que je les ramasse avant qu’ils ne roulent dessus…

Les 16 bidons de lait UHT

Bon, au retour, il faut bien sûr rapporter les 16 bidons de lait UHT et la caisse de bière, sans compter les 5 sacs réutilisables, au bateau. Ensuite, tout séparer par « compartiment », ce qui rend plus facile le jeu de tétris qui s’en suit inévitablement. Puis, il faut ranger d’une manière ordonnée, accessible, ce dont tu n’as pas besoin pour l’instant, mais qui sera immanquablement plus que nécessaire dans quelques secondes à peine. Impossible non plus de prévoir ce que ce sera (du sucre, de la farine, des bonbons…). J’ai emballé au ruban adhésif par parquet de quatre le lait UHT d’Aymeric. C’est le nombre pile-poil qui se range dans l’équipet. Le tout est mainmettant au fond du grand coffre arrière. Je suis partie à 12 h 15 et voici qu’il est 16 h 34 et je suis épuisée. Je me récompense avec des cupcakes, immorale que je suis. Je sais, c’est la recette parfaite pour devenir obèse, mais c’est ma drogue. En plus, je me cache pour ne pas qu’Aymeric me les pique.

Le parc de Sister Creek

Au petit parc tout près du quai, Laurent discute avec Benjamin, Tambi et Molly (6 ans), une petite famille américaine de la Géorgie (sans l’accent nasal/red neck). Quelques jours plus tôt, à l’inlet de St-Simon, ils sont venus nous saluer en dingy. C’est la débauche; je les invite à bord pour une tasse de thé. Tamby se propose d’apporter des biscuits et tout le monde se terre dans son voilier pour préparer l’apéro sucré. Toujours est-il que vers 6 heures, je n’ai aucune nouvelle. Laurent emplit les réservoirs d’eau potable dehors et me dit qu’ils arrivent. Bon, je pense bien que je vais les inviter à souper ! Incroyable, ils sont d’une patience angélique parce qu’après ma journée (et tout le temps pour Laurent), mon anglais doit être difficile à déchiffrer. On papote de tout et de rien, mais surtout de voile et de trucs pour se faciliter le quotidien. Tamby, qui a déjà travaillé dans un salon de beauté, me dit faire son shampooing avec du savon du Dr Brooner et moi de lui demander le prix de l’épilation du bikini, dans le coin. Je suis choquée, c’est plus de 50 $ ! Vive le froid, l’Amazonie ne risque rien pour l’instant. Sans blague, c’est un casse-tête chinois. La petite famille de SandFlea nous quitte vers 8 h 15. J’ai l’impression qu’il est minuit.

Benjamin, Tambi et Molly

Katmandou a quitté hier pour St-Augustine. Philippe et Gigi sont à la recherche d’une marina pour y laisser leur catamaran ce printemps. Au petit matin, habillée en astronaute (l’expression est de Sylvie — maitre D — et j’adore), j’entends Laurent discuté dehors avec The friendly one, dont le voilier est juste avant le nôtre. Des bribes me parvienneent « Strong, very strong current. Two other boats have it me here in the past. Difficult… » On décide d’y aller quand même puisqu’on veut prendre la mer pour quelques sensations fortes. Le vent frôle le 20-25 nœuds aujourd’hui et on ressent le besoin de se mettre à l’épreuve, de jour, avant que ça nous saute à la figure, de nuit. Incapable de quitter le quai, le courant nous pousse avec une force incroyable sur le voilier de The friendly one. Je repousse le balcon de dorénavent avec mes mains pour ne pas percuter de plein fouet notre voisin. dorénavent revient à la charge et cette fois, je mets carrément mon pied sur le petit voilier pour l’écarter de notre route. The friendly one à la mine basse et me demande si quelque chose est cassé. Non, rien sur son bateau. dorénavent est érafflé, mais rien de sérieux. Purée, il nous l’avait bien dit en plus ! On se sent con. Je lui offre une tasse de café, le moins que je puisse faire. On ne partira pas avant 11 h et par l’ICW, en plus. Je suis maussade et j’explose à la moindre occasion. Le lendemain de l’épicerie fait partie de ces jours où il faut me fuir comme la peste. Attendre l’étal m’énerve, le pleurnichement d’Aymeric m’énerve, la destruction de mes guirlandes de Noël fait monter en 5e vitesse mon baromètre de l’emmerdement…

Un courant de 4 noeuds!

Deuxième tentative de départ et là, le couple de jeunes Ontariens près de nous (Hunter 366), The friendly one et la famille de SandFlea nous pousse dans le chenal. Youdelali ! Je rigole en exécutant une danse de la joie sur le pont. Les voir sur le quai, tous heureux pour nous, me fait tellement chaud au cœur. Les ponts redoutés pour leur courant de 4 nœuds sont passés au bon moment sans anicroche. Le vent me fait la grâce de gonfler avec force mon génois juste avant que les Ontariens nous doublent dans l’Intracostal. Je me mords la lèvre, affine mes réglages et jubile de les laisser loin derrière alors que le courant est contre nous et que dorénavent file à presque 6 nœuds. Aymeric nous tape une « sieste » de 4 h 30… Il fait presque nuit lorsqu’on rejoint enfin St-Augustine, tout juste avant la parade des bateaux illuminés de Noël. Pendant plus de deux heures, sous un vent de 25 nœuds, des vagues conséquentes et un courant très fort, les bateaux nous tournent autour pour amuser la foule sur la berge. Aymeric, peu impressionné, réclame Robin des Bois.

X-Mas boat parade
Bridge of Lions
Un ami tout près

Les yeux collés, couchée sur le sofa, Aymeric qui ronfle contre moi puisqu’il m’a rejoint dans la nuit, j’ai mal à la tête. Le manque de sommeil des derniers jours me rattrape et, encore une fois, fuyez parce que je mords. C’est peut-être la deuxième fois que je ne rêve que d’être dans mon appartement, au chaud — mon lit, ma douche, mon chat, ma douillette, tout me manque. J’en ai ras-le-bol et ma claque, simultanément. Je ne suis pas du monde et je veux juste être ailleurs. Je pleure à chaque commentaire de Laurent que je trouve désobligeant et condescendant à mort. « Arrrggghhh, tu m’attaques sans cesse ! » Aymeric, qui refuse de mettre son pantalon et pleurniche pour manger du beurre d’arachide alors qu’il en a dans son assiette, plante le clou final. Je devrais me réjouir de ne pas avoir à le presser, non ? J’ai pourtant l’impression d’avoir les mêmes batailles qu’à la maison et qu’en plus, mon bambin refuse de faire preuve d’autonomie ! Il est où le « non, c’est moi ?! » Sortir du voilier nécessite tout ma petite monnaie (alors il faut faire le sac de la douche et celui de la journée et surtout ne pas oublier l’eau, la collation, le chapeau, la petite laine, la crème solaire, les couches et mon portefeuille. Sortir les portes, mettre le hors-bord, préparer Aymeric…) Laurent se désiste et m’envoie directement au lit pour le bien-être de toute la famille. Arrrggghhh. Salvateur.

Le très joli parc de St-Augustine

 

Philip se cherche des cadeaux de Noel