Sésame ouvre-toi !
Lake Worth, FL—Key Biscayne, FL
Départ le 1er janvier à 7 h et arrivée le 2e janvier à 15 h 20
16 ponts ; 12 ponts
31 ; 32 milles nautiques
On doit avoir quelques files qui se touchent au cerveau pour avoir pris consciemment la décision de traverser de la Floride aux Bahamas partir de Key Biscayne. Les Keys… juste le mot évoque une envie, celle de voir la plus belle partie de la Floride, la plus sauvage. Il va sans dire que ce qui est « sauvage » de West Palm Beach à Miami, ce sont les gens, pas les mangroves. Ben et Tambi (SandFlea) disent que la populace est « rude. » Peut-être est-ce comme Paris, il faut y être quand les Parisiens s’en absentent? Donc, non seulement on a pris deux jours pour rejoindre les Keys, mais en plus, on a choisi de s’y rendre le 1er et le 2e janvier, jour de congé apprécié particulièrement par les Yahoos qui ne peuvent sortir leurs biceps et leur moteur trop souvent. On est pas loin du célèbre « grosse corvette, tite quéquette ! » C’était noir « d’exhaust » avec un tsunami de vagues que dorénavent gère difficilement. Le plus incongru, ce sont ces maisons/mansions/manoirs qui longent l’Intracostal, collées les unes sur les autres. En bikini translucide sur une chaise longue, les dames de la haute société de Boca Raton se donnent en spectacle avec joie au commun des mortels qui s’époumonent sur leurs cigarettes boats devant chez elles.


L’autre truc qui cloche, c’est le nombre farfelu de ponts à bascule à faire ouvrir (certains sont aux heures et à la demi-heure, d’autres aux quarts d’heure et aux trois quarts d’heure et puis d’autres encore sont à la demande).

Un protocole strict est employé pour que la formule magique « sésame ouvre-toi » donne un résultat probant. Je me suis vraiment marrée quelques fois, surtout quand ce sont les Yahoos (à ne pas confondre avec les Yeeya) qui appellent le gardien du pont.
– Uncle Mo ! Inquiring when is your next opening.
—This is George Bush. It is now, but you are still required by the law to make an official request of opening.
Uncle Mo, c’est le nom du bateau et Goerge Bush, celui du pont… Parlant de politique américaine, sillonnant l’Intracostal, on a vogué devant la très modeste demeure de Trump où plus de 4 navettes de coast guards pointaient leurs mitraillettes sur les passants pendant que l’hélicoptère privé de monsieur tourbillonnait au-dessus de la mêlée. J’ai eu un déclic après avoir été forcée d’écouter palabrer l’un des propriétaires des bateaux en désuétude qui encombrent Lake Worth. Dans une sorte de transe, il m’a dit que notre premier ministre flirt avec les imams et que les musulmans d’Allemagne viendront nous envahir et qu’à ce moment, l’armée américaine sera prête à reprendre le Canada. « If Donald Trump doesn’t do it, we will do it. » Avoir peur de ses adversaires, mais encore plus de ses alliés intégristes doit être déconcertant.

Quand est-il des préparatifs au beau milieu de ce cirque? J’en ai déjà fait mention, mais j’ose me répéter. On vit ce moment comme un nouveau départ. Encore une fois, le voilier doit être fin prêt. On avait délaissé au préalable certaines tâches, faute de temps. Elles nous tombent sur la tête là là. En sus, l’usage quotidien du voilier en eau salée apporte son lot de misères. Voici un petit récapitulatif de nos préparatifs. La première tâche qui nous est apparue cruciale était bien de faire les comptes pour savoir de combien le compte épargne du voyage pouvait se délester avant le départ. Dans le calcul du budget, une somme mensuelle va à l’épargne pour couvrir nos arrières en cas de pépins. N’allez pas croire que je suis aussi à mon affaire, c’est Laurent. Par contre, je suis le génie des plans et des listes; certains se réalisent, la grande majorité meurt rayée par mon crayon.

Alors, on s’est équipé en matériel de pêche, pensant que le meilleur endroit pour trouver des leurres adaptés à la pêche à la traine, c’est bien la Floride. Le coup de grâce financier, lui, a fait plus de mal que la grafigne causée par le flèche de notre harpon. On doit prendre 4 marlins et 3 dorades coriphères, selon les calculs de Laurent, pour que le tout vaille la peine. À moi les langoustes ! Ça semble évident tout ça, mais il a tout de même fallu prendre 4 jours et 2 allés-retours Uber pour rassembler le tout. Pis quand tu connais rien, mosus que c’est difficile de prendre une décision. On a même changé d’ancrage pour être en mesure de nous rendre à pied aux dives shops de West Palm Beach. Je tentais d’écouter les leçons de chasse sous-marine de l’employé du dive pendant qu’Aymerait faisait l’anguille pour se libérer de mes bras et jouer avec les fusils à pêche. Philipe a très gentiment accepté d’aider Laurent à réaliser notre chasse aux trésors poisseux. Je me suis sauvée au parc. Question de bouffe, la deuxième épicerie suprême du voyage a nécessité deux charriots et surtout causé l’exclamation de l’emballeur : « you bought the whole store or what! » Juste nous imaginer, le regard fuyant et la tête basse, sortir du stationnement du Publix avec nos deux charriots pour passer à pied un pont et nous rendre à la petite plage où attend déseaurmais.



Le summum de l’anxiété résultant de la frénésie des achats prédépart, c’est bien la génératrice Honda EU 2000 (équipée d’une prise de 30 ampères spécialement conçue pour les navires). On a tergiversé pendant au moins trois semaines entre l’installation d’une éolienne Air Breeze et l’achat d’une génératrice pour combler nos déficits d’énergie qui totalisent environ 40 ampères (que pour le frigo) pour 2-3 jours au mouillage. Du mouillage, c’est ce qu’on veut faire aux Bahamas ! Le hic, c’est que l’éolienne ne se trouvait qu’à Fort Lauderdale où il est impossible de s’ancrer plus d’une nuit due à de nouvelles réglementations. En plus, les heures d’ouverture du temps des fêtes du revendeur n’étaient pas des plus généreuses. Déjà qu’il fallait courir après les filtres et l’huile pour les vidanges du moteur diesel, on a eu la brillante idée de réfréner les excès douteux de motivation. Il a tout de même bien fallu trouver une distributrice de billets pour récupérer le 300 $ américain exigé des Bahamas pour l’entrée dans leurs eaux territoriales de tout navire mesurant plus de 35 pieds.

J’ai donc replacé l’intérieur du voilier et du coffre arrière en jouant à Tétris pendant plusieurs heures pour caler les 40 litres de lait UHT et la génératrice. Pendant ce temps, Laurent a nettoyé la pompe d’eau de mer de l’évier de la cuisine. Une odeur de charogne envahissait le carré dès qu’Aymeric, pour nous faire réagir, appuyait sur la pédale à pied. Une horreur ! Petit souci qui lui arrive régulièrement, Laurent a serré trop fort une vis et fait craquer le plastique de la pompe. Avec Aymeric sur nos épaules, on s’est rendu au West Marine pour en récupérer une nouvelle. Le commis qui a eu le malheur d’aider Laurent lui a répondu qu’on va devoir patienter une semaine pour l’obtenir. Penaud, il vient m’apprendre la nouvelle. Je grince des dents. Non, oh que non, je ne reste pas icit ! J’attrape un autre commis qui, le regard allumé, semble compétent. Je lui montre tout juste une photo exacte de la pompe qu’elle se matérialise comme par magie devant moi ! Le fin mot de l’histoire, Laurent doit peut-être encore pratiquer son anglais. Une autre journée plus tard, la pompe est installée et on sauve des litres considérables d’eau potable. L’eau de mer n’a jamais senti aussi bon. Ce que je n’ai pas réussi à faire, ce qui a semblé le moins impératif, c’est la buanderie ! Comme d’hab, bande de ho-bo, on pue. Reste aussi à donner un bon bain à dorénavent qui souffre du mal local, la rouille de surface.

Demain, on remplit nos jerricanes d’eau, de diesel et d’essence avant de repérer et d’étudier l’inlet que l’on empruntera pour notre sortie en mer dans la nuit de mardi à mercredi. Si la météo est clémente, ça y est, on sera aux Bahamas sous peu !