Pierre qui roule n’amasse pas mousse

George Town, Exumas—Salt-Pond, Long Island
Départ le 14 mars à 8 h 56 — arrivée à 15 h 34
36 milles nautiques

Capitaine du dingy
Brrr, brrr… Accroupie dans le fond de la coquille de notre pneumatique jaune, Aymeric imite le bruit du moteur hors-bord. Brrr, brrr ça fait maintenant 4 jours qu’on n’a aucun moyen de se rendre à terre, si ce n’est de la générosité de nos pairs. Lamentablement, la flaque citron dégonflée sur le pont prend de plus en plus l’allure d’une piscine hors terre à l’abandon. En même temps, nos réserves d’eau et de patience diminuent. Petit rayon de soleil dans la grisaille, notre canari a repris l’envie d’aller aux toilettes des grands contre un petit bonbon. Comme son trône est prêt, il n’a qu’à monter sur son petit banc et s’asseoir sur son petit siège. Le résultat est surprenant, il y va tout seul plusieurs fois par jour ! Mamilinda lui a d’ailleurs offert une peluche de Caillou qui passe ses journées sans pantalon. Aymeric explique tendrement « comme ça, Caillou peut faire caca ». Il me demande des lingettes pour lui essuyer les fesses nues…

Visite surprise d’Isaiah qu’on a pas vu depuis les Berrys

La première tentative de Laurent pour sceller les fuites d’air des boudins à l’époxy a donné un très piètre résultat d’un côté et un très bon de l’autre. Va savoir ! En fait, à l’œil nu, c’était plutôt chouette, sans excès de colle baveuse. En soi, c’est un exploit comme la fuite d’air provient des superpositions des bandes de PVC. Trop exposée, la colle a dû simplement cuire au soleil, devenant friable. L’époxy ne ressemble pas à de la colle contact… Laurent a tout de même mis du poids pendant 24 heures sur le timbre du PVC. Horrible. Il a daigné me voir jouer avec les réparations — probablement trop déprimé pour réagir fortement. À deux têtes, on va trouver une solution parce qu’il est tout simplement impossible d’acheter un pneumatique à Goerge Town. Si on y reste encore, on risque de se pétrifier en statue.

Boudins au GFlex

Miraculeusement, Lynn et la bande du feu de camp nous sauvent de la disgrâce sociale. Nos amis célèbrent le sabbat sur le catamaran Dawn Treader et en profitent pour faire un pot d’adieux. Après 4 allées retour entre le 68 et le 72 sur la VHF — interrompue par des gens qu’on ne connaît strictement pas qui proposent une solution de leur crue ! — Brad vient nous chercher et Rosa-Linda nous offre son dingy. On doit seulement lui rendre le lendemain matin. La face de Laurent qui tient la main de Brad et de Joe pendant la prière en hébreu pour bénir le hala (pain tressé) valait son pesant d’or.

Dawn Trader, Baila, Robin, Mariposa, dorénavent – oui, les seuls francos!

Le Gflex, contrairement à ce que son nom laisse penser, ne se tord pas. Ça, je l’apprends en essayant moi aussi de mettre une importante pression avec un étau sur une toute petite partie du boudin. Erreur qui me saute aux yeux quelques heures plus tard — ce toujours mieux que 24 heures ! J’ai créé une ouverture béante et l’époxy est tout simplement cassé en deux. En une journée, j’ai fait trois couches de Gflex pour imperméabiliser les superpositions des bandes de PVC en plus de rajouter un timbre ovale qui épouse la rondeur du boudin. Esthétiquement, purée que c’est laid ! Le test est concluant, après 24 heures de séchage, ça tient ! Bon, j’ai aussi réussi à tacher le pont d’époxy au grand malheur de Laurent. À chaque fois, je m’en veux. Trop pressée et enthousiaste, je travaille aussi proprement qu’une merde. Le tout est parti en une heure de frottage avec du solvant pour vernis à ongles et une brosse en métal. On peut partir demain pour Long Island !

Dernières images de George Town

Pierre qui roule n’amasse pas mousse
Ça fait un bail que je n’avais pas ressenti la trouille de monter les voiles. Le matin du 14 mars, au réveil (la distance à parcourir nous oblige à mettre un réveil matin, juste ça, c’était traumatisant), les vagues du sud se fracassent sur la coque de dorénavent et le vent siffle à 20-22 nœuds. Bien sûr, comme je devais bien dormir pour être fraiche et dispose aujourd’hui, j’ai passé une nuit d’insomniaque. Euh. La prochaine fenêtre météo ne s’ouvre pas avant 10 jours. Honey Mooner y est déjà et nous attend… Si on n’y va pas aujourd’hui, c’en est fini de Long Island (et de nos compétences de voileux, si j’ose dire). C’est comme la bicyclette, ça ne s’oublie pas, right ? Laurent a téléchargé l’application de Garmin et ses cartes des Bahamas réputées pour être beaucoup plus exactes que celles de Navionics. Bonus, on pourra enfin lire les infos d’Active Captain qui y sont inscrites.

Voie terrestre

J’arrive sans heurt à quitter le mouillage au moteur — lire, le voilier de mon voisin, Mary Kay, est intact. Pour une raison que j’ignore — quoique, ça doit être parce qu’on voit une voile au loin — Laurent décide de monter les voiles dans Elisabeth Harbor avant même d’avoir passé la cut et d’être sortie sur le banc. Purée. Deux longues avancées de corail serpentent avec le canal… La règle du jeu est simple, ne pas s’échouer. À l’avant, je me tiens solidement, aspergée d’eau froide et salée. En état d’apesanteur quelques secondes à chaque remontée et descente du voilier entre deux vagues, je suis sensée repérer nos « écarts » de conduite. Plus besoin de payer pour un parc d’attractions ; une petite remontée acide de café plus tard…

Pêcher un arbre

On a vite fait de réaliser qu’on passera la journée au pré, c’est-à-dire le voilier solidement penché sur le côté bâbord à fendre les flots. Bam ! Bam ! Je ne pense pas avoir joui d’un vent arrière dans les Bahamas. La pompe de cale s’excite et crache un jet d’eau violemment par-dessus bord. Puis un autre et un autre. La fuite au-dessus du réservoir bâbord se retrouve sous le niveau d’eau en raison de la gite. Au final, c’est plus de la moitié de nos réserves en eau potable qu’on a donnée aux poissons qui s’en foutent. Laurent a fait usage d’un langage très coloré. On n’avait pas dit justement qu’il fallait un entretien ?

En passant le tropique du Cancer — dans mon livre à moi, c’est le même genre de rite de passage que de traverser l’Atlantique. « J’ai vraiment navigué jusqu’au sud ! » — deux voiles se dessinent à l’horizon. La prise de ris de ce matin retient toujours notre grand-voile ; sa forme fait pester Laurent. Tiens, je ne suis plus la seule à faire des régates imaginaires… « On sort toutes les voiles ! » L’homme s’affaire dans le cockpit à enlever la prise de ris et à hisser la grand-voile. Il envoie de même la totalité du génois. Après les premiers réglages, on passe de 4,5 nœuds à environ 5 nœuds. De nouveau, on frôle une navigation à 50 degrés du vent et ça tape fort en titi. Tellement que pendant un bref instant, je capote et j’exige que Laurent remette la prise de ris ou bien qu’il prenne la roue. Il me jette un de ses regards condescendants dont il a si bien le secret — j’attends toujours une petite leçon en la matière de sa part, qu’on se le dise — et s’empare de la roue.

On a traversé à voile le tropique du Cancer!

Je reprends mes esprits… Quelque chose cloche toujours avec la forme de la grand-voile qui a une sale mine de S. Je suis persuadée que quelques fins ajustements échoppent. En croisant mes sources, comme le vent oscille entre 15-18 nœuds, ma voile doit être la plus plate possible et légèrement ramenée vers l’intérieur pour capter le vent en hauteur — je passe les détails plus complexe. On file à plus de 6 nœuds sur le fond. Le spectre des voiliers s’estompe dans le sillage de nos vagues. C’est l’euphorie, Aymeric pousse des petits cris « On a gagné, on a gagné ! »

 

Ja Rule
En arrivant dans la baie de Salt Pond, on cherche du regard Honey Monner. Purée, ils sont partis… Je suis déçue, c’était l’une des dernières chances de voir Sarah et Andrew. Pragmatique Laurent me lance « appelle à la VHF ». Bingo, ils sont ancrés un peu plus loin pour se protéger du roulis. On est incapable de mettre notre moteur sur le tableau arrière de la voiture-bateau tellement les vagues sont fortes et d’une ampleur importante ; leur dingy sèche doucement sur leur pont. À demain pour une promenade en ville.

Aymeric et Sarah
Salt Pond, Long Island
Aymeric se fait un ami en ville
Colombus Monument

Il y a de ces petits gestes, tous doux, qui sont un baume pour le cœur. Sans le savoir, Sarah m’a fait sourire en m’apportant un guide touristique de Long Island. Emplie de gratitude, je me suis empressée de le feuilleter. Si je tenais à ce point à visiter l’île, c’est que justement, elle est réputée pour avoir d’autre chose à voir que des plages à perpétuité. Églises, ruine d’anciennes plantations du temps des loyalistes venus des États-Unis, Colombus Monument qui marque le troisième arrêt de Christophe Colomb aux Bahamas le 17 octobre 1492 — à voir les hauts-fonds, c’est étonnant qu’il n’y ait pas laissé sa coque, etc.

L’une des miles églises de l’île
Aymeric et Andrew
Moment pastoral

En négociant quelques mois plus tôt avec Laurent, j’ai réussi à obtenir une location de voiture. Une. Andrew et Sarah acceptent de partir avec nous à l’aventure, Andrew au volant. Un après-midi pour le sud de l’île, un avant-midi pour le nord. Depuis le temps que j’en parle, je frissonne en nageant au-dessus du pourtour de Dean’s bleu hole. L’abysse est à glacer le sang. Quelques pas dans une eau turquoise cristalline avant de sombrer soudainement dans un trou opaque de plus de 200 mètres. Le fond m’attire, le sentiment est étrange. Laurent, dans une forme gracieuse, esthétique avec sa combinaison de plongée et ses palmes, a réussi à descendre à plus de 10 mètres. Va-et-vient constant, en fin de journée Andrew et Sarah conspirent à l’écart. Elle me glisse à l’oreille « it’s Ja Rule! » Quoi ? « You know, the well-known raper? » Euh. Je ne sais toujours pas qui il est…

Non, ce n’est pas Ja Rule, mais bien une exploration martienne.
Andrew dirige la parade du jour
Le trou de Dean
C’est le gars caché en premier plan… La photo va bien avec ses vidéos clips…