Moumoune

Great Harbour Cay Marina (Hoffman Cay, Berry Islands) — Rose Island
Départ le 27 janvier à 9 h 15 — arrivée le 31 janvier à 14 h 46
28 ; 44.4 milles nautiques

Moumoune
Après une semaine de vacances luxueuses à la marina (accès aux poubelles et douches froides comprises), l’équipage de dorénavent est fin près à laisser tomber son épithète de moumoune. En fait, depuis 4 jours à l’ancre à Hoffman Cay — balayé par un « petit » front froid (20-25 nœuds)  —, avec Laurent, l’on se dé-moumounise. De quesé ? En bon québécois, une moumoune, c’est quelqu’un de craintif, d’apeuré, d’angoissé, d’inquiet. Voilà pour le portrait. On s’est caché dans le basin de Great Harbour Cay, puis à la marina, et ce, pendant plus de trois semaines. On n’est même plus amarinés !

Sandflea ancré à Hoffman Cay
Aymeric et Molly

Il y a quelques jours, on a retrouvé l’équipage de Sandflea (Ben, Tambi & Molly) ancré pendant le dernier vrai front. À Eleuthra, ma copine Carla — Mahi — a enregistré une rafale à 78 nœuds (144 kilomètres/heures). Bien que mon voilier était solidement attaché à un quai, j’étais tellement moumoune que je ne pouvais dormir en pensant à eux, pris dans la tempête. Ben s’est un peu foutu de ma gueule. J’ai rigolé aussi, mais noir. Il y a un front froid par semaine (j’ai l’impression que c’est tellement obnubilant dans notre vie que c’est pas mal le seul truc qui retient ma plume), ce qui veut dire qu’on doit réapprendre à ne plus craindre notre ancre comme des marins d’eau douce. Comme on, marins d’eau douce, on l’est toujours ! On s’est tapé trois mois dans un canal et 1 mois dans un basin protégé… Bon, on a quitté le « havre du calme » pour le sud, les Exumas. C’est la fête ! On a juste été retenus en chemin à Hoffman Cay par ce petit front froid.

Hoffman Cay. Limonade (Nicole et Greg avec Christine et Gabe de l’Alaska. Aymeric a charmé les dames!)

La première nuit, j’étais en boule dans le carré. Un grain — pluie et fort vent de 25 nœuds — a rugi pendant peut-être une heure. Bravo la grande. Dans la journée, ancré dans du 25 pieds, Laurent avait plongé dans l’eau turquoise pour « voir » l’ancre. Nouille en costume de bain. Qu’est-ce qu’il faut « voir » au juste quand on plonge sur une Rocna (si vous êtes perdu, c’est notre type d’ancre) ? Chéri a dit qu’il était content de ce qu’il a vu. C’est nébuleux ; je n’ai pas osé lui demander s’il s’y connait un tant soit peu… Malgré sa plongée, Laurent a passé une bonne partie de la nuit (de 1 h à 4 h du mat, pour être précise) avec moi debout dans le carré. On s’est tapé une houle résiduelle qui nous frappait dans les flancs. Le roulis sur le côté me rend nauséeuse. Beurk. Le mal de tête le lendemain, on n’en parle même pas. De toute évidence, il faut en finir avec la moumoune de nuit avant le vrai front.

Bali Ha’i

Le lendemain, tôt le matin, on trouvait nos voisins un peu proches, merci (la proximité du mammifère humain grégaire). C’est un voilier Pearson 31, Bali Ha’i, propriété de Jeff et Katina. Petit aparté. À Key Biscayne, la dernière fois qu’il y a eu un voilier à l’ancre collé sur dornénavent, j’ai dit d’une voix tonitruante à la pauvre femme stressée à la barre « Hi. Why here ? There is the whole shore. Don’t you think that you are too close?! » Laurent m’a regardé avec de grands yeux puis a ri à gorge déployée. Traite, il avait regardé toute leur manœuvre sans mot dire.

Changement de stratégie oblige, on est passé faire un coucou aux voisins (Aymeric a pris la consigne de manière littérale). La petite visite informelle s’est transformée en rencontre météo-ancrage avec l’arrivée en dingy du deuxième voisin. En fait, ils sont super chouettes et, comme nous, angoissent à l’idée de déraper sur un autre voilier. Constat, on reste tous pour la nuit, on a fait notre mieux pour trouver un spot de sable. Bali Ha’i a mis 80 pieds de chaîne et possède une Rocna 44 livres. Dans mon livre à moi, les ancres, c’est comme les voiliers, la tienne n’est jamais assez grosse.

Hoffman Cay

Je prends un air ingénu et je demande à Jeff, qui a « plongé » sur son ancre, ce qu’il a vu. Ce que j’en comprends, c’est que la pointe doit être bien enfoncée, que l’arceau doit être droit dans les airs et qu’une très bonne pelletée de sable doit se trouver dans la charrue. J’ai tellement envie de le googler, mais il n’y a pas de réseau. Image d’une Rocna bien plantée…

L’opération démoumounisation est en cours ! Avant d’être frappé par les forts vents, j’ai « plongé » sur l’ancre. Euh, la pointe est dans le sable, c’est bon ça, non ? Sans blague, elle git sur le côté et le tout ne m’a pas d’l’air très « solide ». Je tire dessus, rien ne bouge. On n’a jamais mis la tête près de l’ancre dans l’Intracostal parce que, pour citer le prof de Laurent, c’est comme « plonger dans un trou de bouette ». Tu ne vois strictement pas le bout de tes doigts. Toujours est-il que, en avalant une tasse d’eau de mer, je me rends au-dessus de l’ancre des voisins. Il fait super gris dehors et c’est tout de même un peu frisquet (désolée, il ne faisait quand même que 20 degrés). La bouche lui tombe en me voyant sortir la tête de l’eau devant son bateau. OK, sa « grosse » ancre est vraiment bien ancrée et la nôtre semble avoir été laissée pour morte sur-le-champ de bataille. Purée.

Hoffman Cay

Ce qu’il faut savoir, c’est que le courant et le vent sont rarement dans la même direction et que, peu importe la direction, prise lors de l’ancrage, le voilier va tracer un cercle de 360 degrés autour de l’ancre. Ce qui semble nous être arrivé, c’est que le vent a fait tourner le voilier qui a par la suite tiré sur l’ancre. Elle n’était plus bien lovée dans un tas de sable…

Laurent est sur le pont, l’eau est trop froide pour monsieur. En fait, je dépense tellement d’énergie à rester sur place malgré le courant qu’elle est pas mal bonne ! On a la même idée, proposée le matin même par Jeff. « You’va got to resettle your anchor. » Je suis aux premières loges du spectacle Rocna. Laurent met dorénavent en marche arrière, le voilier tire sur la chaîne et l’ancre avance puis s’arrête. Je sors la tête. « Si tu donnais un bon coup, à fond en marche arrière pendant 15 secondes au moins ». Je remets la tête sous l’eau avec mon masque de plongée. À 7 pieds, je vois parfaitement bien et je suis sidérée. Pendant ce qui me semble une éternité, l’ancre avance à une vitesse folle et creuse un sillon dans le sable. L’eau de mer me reste au travers de la gorge. Tout d’un coup, la charrue est ensablée et l’ancre s’arrête net. Wow ! J’ai tellement bien dormi, c’est ridicule. Le vent soufflait à 25 nœuds dehors, dorénavent tirait sur sa chaine, la capote de la descente dansait dans le vent et moi je ronflais – bon, je me suis réveillée à 2 heures et à 5 heures pour voir où était le voisin. Ce matin, l’ancre était toujours à sa place, malgré le changement de direction du vent et du courant. Alléluia.

Hoffman Cay

J’avais promis d’être sage
Aymeric et moi, on a été rattrapés par l’aventure à la marina. La maudite, elle se cachait au détour et nous a tendu un guet-apens. Comme Laurent, le pourvoyeur, était parti à la pêche avec Isaiah, j’en ai profité pour faire de la SUP (stand up paddle board) avec Aymeric. Il agrippe la poignée et laisse doucement ses pieds filer dans l’eau. Alors qu’on pagaie près du petit pont au fond de la baie, le courant s’empare de la planche et, en quelques secondes, nous pousse contre les parois de roches. Comme une balle de ping-pong, on rebondit sur le côté droit puis le gauche. J’ai tout juste eu le temps de protéger la tête d’Aymeric d’une mèche de métal qui pendouille sous le pont. Il ne parle plus ; observe le pont… Je pagaie pour nous sortir du courant. La SUP, Bertha de son petit nom, est suffisamment large pour ne pas avoir versée, Dieu merci ! Purée, d’aucune manière on ne peut revenir sous le pont pour retourner au voilier. Le courant est vraiment trop fort. Il va falloir escalader le monticule de roches, pieds nus.

Dernières photos de Great Harbour

On reprend nos esprits en flânant tranquillement dans les mangroves pendant que j’élabore un plan B pour nous sortir de là. Les roches de calcaires sont pointues et font un mal de chien. Je porte Aymeric à bout de bras près de la route et lui demande de rester bien à l’abri des voitures. J’ai vraiment peur, quoi s’il décide de s’aventurer sur un peu plus loin ? Les locaux ne sont pas habitués à voir des gens surgir de sous le pont ! Maintenant, comment est-ce que je monte la purée de planche ?! Un point de levier et je m’en tire assez facilement.

Le petit pont au fond de la baie

On est de l’autre côté de la route. Le courant est toujours fort ; il va falloir mettre la planche à l’eau plus loin, devant le « débarcadère » pour dingy. La route de sable est parsemée de morceaux de vitre et Aymeric pleurniche. Il doit ressentir mon stresse et ne veut plus avancer… On a tous les deux les pieds nus. Je le réconforte. Encore une fois, je vais porter Aymeric un peu plus loin puis repars prendre la planche. Elle me mord les flancs, je claudique vers mon fils. Quelques voitures me klaxonnent et m’envoient la main. Grrrr. Dernière étape du périple, le « débarcadère » en en fait une montagne de coquillages de conques. Alléluia, il y a un tapis (un tapis ?!) pour me soulager des crampes plantaires et petites coupures. La SUP est à l’eau, mais elle refuse de bouger de son trou. Je la pousse à plusieurs reprises, elle se libère enfin des conques. « Aymeric, c’est bon, c’est le moment de pleurer là, on a réussi à s’en sortir ! » Toujours contre un faible courant, ça nous prend 1 h traverser la petite baie et rentrer à la maison-bateau. Je suis incapable de conserver une trajectoire en droite ligne et pagaie un peu dans tous les sens. C’est que j’ai laissé la dérive sur les « berges » du débarcadère ! Merdouille… Heureusement, elle y était toujours quelques jours plus tard. Une fois le front et les vents passés, on a pu s’y rendre en dingy et la récupérer.

GHC

Il y a tout de même une relation d’amour-haine entre le courant et la planche… La dernière fois que je l’ai prise pour aller me baigner avec Aymeric chez Sandflea, le courant m’a emporté et je suis tombée sur le côté sur le moteur hord bord ! J’ai une de ces ecchymoses… je ne sais pas si c’est tout simplement parce que je suis gauche, ou bien si mes risques sont mal calculés.

Épicerie pré-départ avec Isaiah

Avec Aymeric, on est allé à l’église dimanche matin. On voulait voir une messe gospel. Bien, après 5 minutes, on a joué dehors et trouvé un pauvre lapin — un peu drogué peut-être — sous un bateau en décomposition…

St-Bartholomew
L’ami d’Aymeric
La vue de mon banc d’église
De l’autre côté

Zoologie
Je ne peux m’empêcher de faire un clin d’œil à la faune qui gravite autour du voilier. Hier soir, en cuisinant, un énorme papillon de nuit virevolte autour de ma tête et me frappe à plusieurs reprises. Quand j’essaye de l’attraper dans un Ziploc (je sais, c’est ma solution fétiche), il se prend dans mes cheveux et je crie. Aymeric hurle dans les bras de Laurent. Ça m’a pris un bon 5 minutes pour le foutre dehors.

L’homme et un autre poisson
Oh yeah!

Ce matin, Laurent me dit en sortant de la toilette « j’ai fait pipi sur un poisson ! » Yup, je regarde dans la cuvette et j’aperçois un têtard qui nage en rond dans la flaque jaune. Yark. Parlant de poisson, Laurent a attrapé un maquereau à la traîne en venant sur Hofman Cay. Je suis vraiment sur le cul, moi qui pensais qu’on ne réussirait jamais à prendre un poisson. Notre meilleur leurre a été bouffé par je ne sais quoi 15 minutes après notre départ. Rapala a sauvé la mise ! Quelle bête ! On en a eu pour plus de 4 kilos de poisson. J’ai fait du sushi (ça sonne plus chic que poisson cru) pour la première fois. Nos derniers épisodes poissons/fish ont malheureusement consacré la nouvelle division des tâches. L’homme pêche et cuisine le poisson, moi je fais les filets. Je suis à genoux dans le cockpit, fish est raide mort… Il ne fait même pas complètement sur mon atelier de fortune. Je me coupe le doigt, grrr. Surprise. Le prédateur avait déjà une proie à son actif. Un petit poisson à moitié digéré glisse subitement sur mes mains. L’estomac suit. Je dois être verte. J’entends Laurent dire à Aymeric « maman aime l’anatomie ». Un peu cinglée, je mange quelques morceaux de suhi frais sur les arrêtes. Miam. J’ai une super recette de sauce sushi, je la mets à la fin de l’article. Ce sont mes plus beaux filets !

Lavage du départ
Le lamantin gros gros
La bouche béante

Il y a aussi bien sûr le lamantin qui se promène sous les quais de la marina et qui, attiré par l’eau fraiche, est venu nous faire une peur bleue. Aymeric s’amusait à nettoyer ses jouets avant le départ et je terminais le lavage. En me penchant pour tordre un pantalon, j’ai vu l’énorme bouche béante. C’est une maman. Aymeric le sait et ce matin, il m’a dit « tu es le lamantin gros. Je suis le bébé lamantin ! »

glu glu
On voit bien la queue et la tête! C’est énorme