Marlin l’enchanteur

Spanish Well, Eleuthera; Lyniard Cay, Hope Town, Treasure Island, Guana Cay — Marsh Harbour, Abacos
Départ le 1er avril — arrivée le 9 avril 2017
66 ; 7 ; 9 ; 4 ; 4 milles nautiques

Radio-ponton I
Papiou à bord du dorénavent

Depuis le temps que l’idée me trotte dans la tête, enfin un poisson a mordu à l’hameçon. Voici donc le premier radio-ponton à bord de notre maison-bateau. Le concept est celui de Marie et Hervé Nieutin (Histoires de partir*) qui, quelques fois pendant leur année à voile dans les Antilles, ont passé la plume aux membres de l’équipage. J’ai bien essayé avec Aymeric… Il me regarde, soupire, et retourne dans sa cabine (spectre lointain de l’adolescence !?) Avec Laurent, la patience est la meilleure arme ; il finira bien un jour par faire entendre sa voix. Pour l’instant, à la Néandertal, j’ai droit à : moi, « homme », j’ai programmé le blogue. Toi, « femme », tu écris le blogue. Après le grand-départ de ce matin, Papiou nous laisse en guise de remerciement son témoignage. Avec douceur, je fais un copier-coller.

Papiou qui fait du Qi Gong sur la plage
Devant lui, la bagarre pour la noix de coco!

Ouuuuuh, Claudie me demande de mettre quelques mots dans son blogue… ou plutôt le blogue du dorénavent.

Mouuuuais… quelques mots… facile à dire, un peu moins à écrire. Surtout que j’ai dans les pattes un clavier qwerty moi aui suis hqbitu2 au clavier azerty.

Ben, disons que je suis merveilleusement surpris par la fluidité des relations… Quatre caractères plutôt bien affirmés (Aymeric et moi nous ne sommes pas forcément des modèles de tolérance) qui se retrouvent presque 24 h sur 24 sur moins de 15 min 2 s pendant une bonne dizaine de jours… disons que c’est tout sauf évident ! Il est bien connu qu’un voyage au long cours sur un voilier est un test infaillible quant à la durabilité d’un couple… À fortiori d’un « trouple » voire d’un « quadrouple ». Hé ben, les choses sont claires : c’est gagné ! Vos voyageurs préférés m’ont donné une très belle place dans leur équipe et disons que je pense avoir su la prendre. Que ce soit en tant que papa, grand-papa ou beau père, mais aussi en tant que partenaire dans toute la marche de ce voilier qui correspond si bien à leurs aspirations.

Je partais avec quelques craintes du côté du confort pissekologique de ce séjour. Hé bien, elles étaient injustifiées ; j’atteste que l’aspect idyllique présenté par le blogue de Claudie (heu non, par celui du dorénavent… j’vais avoir des ennuis avec mon Laurent de fils qui n’écrit pas assez aux yeux de sa blonde) est bien conforme à la réalité que je viens de vivre avec eux !

Je ne vais pas vous narrer par le détail les rencontres avec cette jeune famille, ni celles avec Éole ou Neptune, les merveilleuses couleurs de l’eau ou des poissons bahamiens, des raies, des dauphins ou un requin : les billets du blogue le font déjà largement.

Alors je vais jouer à la flemme, et terminer sur une constatation : ils sont bien partis pour des voyages bien plus longs et encore plus passionnants. Je souhaite très fort que ces trois profitent du fabuleux potentiel qu’ils construisent.

Et merci à tous les petits lutins sirènes et autres qui nous offrent tant de bonheurs !

Papiou qui peint avec Aymeric la maquette de son ULM

Tribulations maritimes et marmitières
Quand on a invité Papiou à bord, on souhaitait surtout lui faire vivre une part de notre existence sur les flots. Laurent s’est gratté la tête quelque temps. On redescend au sud vers les Exumas ou bien on navigue vers le nord pour rejoindre Eleuthera et les Abacos ? C’est notre premier équipier à bord et on voulait faire les choses en grand ! Le vent, dans sa grande bonté, a tranché. Papiou a accepté de prendre un court vol de Marsh Harbour (Abacos) à Nassau. Ainsi, il en était fini de se demander comment on bouclerait la boucle de son séjour. Plus besoin de revenir sur nos traces pour qu’il puisse revoir amoureuse, ULM, et chevaux (dans cet ordre, je crois).

Mouillage tranquille

Tout juste sorti de l’aéroport, il nous a botté les fesses bien comme il faut. Pour le ménager, on se disait que, peut-être, il fallait passer une deuxième nuit en marina… Bon, il est toujours aussi fringant, mais il n’est plus tout jeune… Avec l’air de dire pas cette cage à poules, il a décrété : « ah non, on ne reste pas ici ! ». Alors qu’on l’a récupéré vers 23 heures, dès le lendemain matin, c’est avec un bon 15 nœuds de vent établi qu’on a quitté Nassau. Après avoir donné un coup de main, le père de Laurent, en complet décalage horaire, roupillait sur les bancs de carré. Dieu merci pour le vent arrière. Au moins il n’est pas tombé sur le plancher !

« Tu crois qu’il va cuisiner ? »
« Non, mais il n’est vraiment pas difficile ! Toi, si. Il va participer autrement. »

De toute manière, la cuisine Larcher est ouverte le midi, la Bonnot, que le soir. Laurent ne supporte pas de préparer le repas quand on gîte. Pour ma part, aucun problème si tout le monde aime les sandwichs paninis et petites salades. Pour épater la galerie, j’ai même fait notre pain à grain entier pendant tout le séjour de Papiou. Laurent a redoré son blason culinaire, préparant avec soin nos soupers, végés pour la plupart. Un Français, de la bouffe américaine… les préjugés ont la vie dure ! J’ai eu la bonne surprise de ne pas me farcir la vaisselle, ou si peu, pendant 10 jours ! Tu reviens quand Papiou ? Le plus drôle — alors là, j’étais vraiment épatée — il se servait de l’eau douce de rinçage de la vaisselle pour faire son lavage quotidien. Oh, grand merci, il nous a ramené une poêle antiadhésive de France. Qualité camping, la nôtre n’a pas survécu…

Regard sur les plans de l’enrouleur qui merde
Graisse pour l’enrouleur

Une question épineuse s’est tout de même posée. On le met où, au juste, ton père Laurent ? J’ai vidé quelques équipets de la cabine d’Aymeric, me disant que peut-être… Le hic, c’est que le petit homme s’endort difficilement en présence de quelqu’un et qu’il prend toute la place dans le lit en triangle. Sans compter que, allongé dans la cabine avant, on a le sentiment étrange d’avoir la tête en bas. On a donc passé une semaine à ouvrir, le soir venu, le lit de camp du carré. Sous la table, on « cachait » les sacs de Papiou. Hors de vue, il y avait tout de même accès et rien ne risquait de voler dans le carré sous la force des vagues.

Bizarrement, l’une de nos meilleures prises du séjour était… congelée. À Spanish Well, occupé à trouver de l’eau sur le quai de service, on voit s’amarrer un chalutier à langouste. La femme à mes côtés me dit qu’elle n’a pas vu son mari depuis trois semaines. Heureuse, elle glisse qu’il sera enfin à la maison comme la saison de pêche se terminait hier. « You think that he could sell us tails? » Mike regarde sa femme Dana et lui demande s’il reste des langoustes dans leur congélo. Oui, peut-être. « Listen, I’ll go check and if there is, I’ll bring them. » Aymeric regarde les poissons dans l’eau. On attend patiemment le retour de Mike, parti en voiturette de golf — c’est le véhicule national aux Bahamas. Il revient avec 5 langoustes congelées et les plus grosses pinces de crabe que je n’ai jamais vues ! « No money. Just a thank you ». Je lui serai éternellement reconnaissante.

Où sont les poissons?
Le chalutier de Mike en arrière plan

La planification de la traversée de plus de 65 milles nautiques vers les Abacos a lieu en mer. L’équipage de Baila a nagé l’équivalent d’une piscine olympique pour nous rejoindre. Papiou rigole sur le pont avant de se jeter à l’eau lui aussi. Demain, compte tenu du vent et des vagues, est le meilleur jour. 6 h du mat. Il fait encore noir alors qu’on s’éloigne du mouillage, les feux de navigation scintillant. Penaud, on n’a rien attrapé entre Nassau et Spanish Well. Laurent est bien décidé à démontrer ses prouesses halieutiques. Il envoie les voiles et hop, la ligne est à l’eau. Quelques minutes plus tard, le BBQ fait un bruit d’enfer, tapé par la canne à pêche. Excité, on se met à la cape, les voiles faissaillantes. La VHF crachouille, on l’ignore d’autant plus que l’homme remonte un thon — little tuny, de son petit nom ! Purée, je vais vraiment devoir faire des filets à 8 h le matin ? C’est au tour de mon téléphone d’émettre un bip sonore. Brad, en tête de flottille, s’inquiète pour nous. « R you going back? R you all right? »

Réunion marine

C’est la fête sur dorénavent ! Papiou, qui a toujours besoin de s’amariner, occupe la barre à roue la plupart du temps. Je lui pique sa place, le temps de calmer mon estomac qui supporte mal, en plus des vagues, le sang de little tuny et sa chaire rougeâtre. Vive commotion dans le cockpit… À nouveau, on met le voilier à la cape. On n’est plus protégé par aucune île et le fetch des vagues et de plus en plus important. Malgré les voiles, dorénavent se fait brasser au maximum. « C’est un dauphin ou quoi ?! » Le monstre marin exécute de parfaites pirouettes hors de l’eau. On ne tient plus en place. Mais qu’est-ce qu’on va trouver au bout du fil ? La plus merveilleuse histoire de pêche ? Le visage de Laurent s’assombrit. « Je crois que c’est un espadon (swordfish). Non, un marlin ! » C’est difficile de trancher, le rostre du poisson est absent et seul un trognon subsiste. Une bataille durement gagnée ?

Marlin bleu ou blanc?

Euh, je fais quoi maintenant ? Je n’en veux pas de ce truc ! La bête fait au moins deux mètres, jamais elle ne pourrait rentrer dans mon frigo ! D’une manière ou d’une autre, on ne peut la garder puisqu’elle appartient à la famille des Billfish. C’est de la pêche sportive de haut niveau, tous ces poissons doivent être relâchés. On ne peut même pas le remonter sur le pont tellement il est imposant. Avec fougue, Laurent se précipite dans le dingy ; il attrape la ligne de pêche pour retirer presto l’hameçon de la gueule de l’animal ! Souriant, Laurent me lance « bon, plus besoin de pêcher, j’ai atteint le Graal ! » En gardant le marlin dans l’eau, on lui assurait un bon 30 % de chance supplémentaire de se sortir miraculeusement indemne de sa capture.

À la rescousse!

En dix jours, il était impossible que Papiou se sauve d’un front froid. On est sorti du trou à ouragan qu’est la baie de Hope Town pour s’ancrer à Treasure Cay. Avant de partir, déambuler dans les rues du petit village, visiter le phare et apprécier son parc pour enfants et sa plage fut fort chouette. Malheureusement, la moiteur du jour et l’absence de vent ont rendu la vie à bord plus difficile. Je renifle sous mes aisselles. Yup, c’est le temps d’une douche ! Rhiannon, voilier Catalina de 42 pieds avec comme équipage Benny et Lisa, passe nous offrir un joli présent… une corne de conque !

Phare de Hope Town

*Marie et Hervé Nieutin, Histoires de partir. Rêver, préparer, vivre une croisière sabbatique, Nieutin, Josselin, 2012.