Le Net
George Town, Exumas
Elizabeth Harbour. Il est 8 heures tapant. Réglée sur le canal 72, notre VHF crache quelques grésillements. Soudainement la voix de Robert, l’animateur du Net sur le voilier Copper Penny, avec sa femme Sandy, nous invite à participer à la communion matinale de la communauté maritime. Certes, en voyage, on a une forte tendance à se regrouper avec ses semblables, ceux-là mêmes qu’on n’aurait très probablement jamais côtoyés à la maison, et ce, pour de multiples raisons.

Je dois dire que malgré plusieurs années d’adaptation culturelle, je suis toujours surprise par l’esprit très grégaire, voire clanique, des Anglais (bien sûr, c’est un stéréotype, mais pensez à Harry Potter). J’ai eu l’idée, un jour, de fréquenter une université anglaise en plein cœur de Montréal. J’étais revenue de la séance d’information avec un malaise persistant et une image bien incrustée. Quelques élus qui, tout en chantant leurs louanges, se tenaient la main et tournaient autour d’une pierre. J’exagère à peine.

Voilà qu’on se trouve à George Town tout juste avant la 37e édition des célèbres régates. J’étais loin de m’imaginer que ces courses sont le fruit d’une préparation soutenue et d’un dévouement personnel de la part des live aboard anglos, ancrés dans le harbour depuis on se sait quand. Pour assurer l’intégration des nouveaux venus et le bon déroulement des festivités, le protocole est explicité tous les matins sur le Net. Le canal de communication n’est pas le 16, mais bien le 68. Une tape sur la main à qui l’oublie. L’ordre du net est le suivant, bien établi par la tradition :
–Emergency
–Weather by Chris Parker, météorologue américain bien connu des live aboard
-Local business
-Regatta
-Community announcement
-Boaters general
-Give, trade or sell
-New arrivals/departures
-Thought for the day
Aujourd’hui, la pensée du jour vient du trimaran Triade ancré juste devant nous. Après une dépression dont les vents ont encore frôlé le 30 nœuds — le voilier de derrière tellement proche, si on chasse, on le percute de plein fouet — Triade nous balance un « our days would be happier if we give people a piece of our heart instead of a piece of our mind ». Je me suis retenue de ne pas hurler après la confrérie des aigles rouges qui nous ont flanqués à bâbord et à tribord juste avant la tempête.

Toujours est-il que ce qui me frappe, c’est la différence claire et nette entre les locaux (Local business), c’est-à-dire les Bahamiens, et la communauté maritime (Community announcement) qui s’est attribué le nom de Boater’s Community. À la porte toute prétention de s’intégrer ! On assiste au spectacle du néo-colonialisme américain fondé sur les siècles d’expérience de la mère patrie, l’Angleterre. C’est à ce point la trame de vie de la vie quotidienne que Laurent, tout surpris, m’a fait la remarque suivante : « regarde, il y a des Bahamiens sur la plage ! »

Chose à savoir, toutes les plages qui ornent le littoral qui nous entoure portent un nom et servent d’aires de rencontres, d’échanges. Les annonces de la communauté portent donc sur la tenue, ou non, du cours de yoga par Agnès ou bien du cours d’aquaforme. Une femme sur un voilier en profite pour dire merci au charmant monsieur qui a animé un cours sur la création d’un paradis dans une noix de coco… Mon annonce préférée ? Celle de Bill sur le voilier Providence qui, simultanément, annonce la messe du dimanche à Church Beach et le poker run dans l’île ! Sa femme s’est empressée de pendre la VHF pour souligner qu’il avait oublier de mentionner le bible story hour où tout un chacun racontent l’histoire de la bible qui les émeuvent le plus. Ça va sans dire que Laurent a évité comme la peste la plage dimanche matin.

Les journées s’écoulent donc doucement au son des appels du type
-Aqua Bob
-Aqua Bob
-Aqua Bob
-Dolphin Lee
-Papaya
-Papaya
-Papaya
-ici Vandanges

Le Chat & Chill, resto/plage, laisse deviner un chalet et plusieurs tables de pique-nique, une aire de balançoires pour les gamins et surtout, un terrain de volleyball. Des raies patrouillent la berge pour gober les restes de bouffe que les live aboards qui s’agglutinent sur la plage lancent avec plaisir. Ici ont lieu toutes les annonces officielles, les célébrations en tout genre, la multitude d’activités organisées et surtout, le bulletin d’affichage de la communauté. La plage est parsemée de têtes blanches qui se retrouvent entre bons pots pour la journée. Le Chat & Chill me paraît donc un savant mélange entre un camping québécois (qui n’a jamais célébré Noël en juillet, entouré de tentes-roulottes qui n’ont pas bougées depuis au moins 10 ans !) et une équipe d’aviron d’Oxford, confiante, sur d’elle.

Chouette ! On a retrouvé l’Anse aux fraises — Marie et Yann (Arno, Rose, Emma), Nomad — Virginie et Matan (Amos, Noa, Adi) et fait la connaissance de Baila – Lynne et Brad (Anna, Isabelle, Avery) ! Trois familles avec chacun trois enfants. J’ai dit à Laurent « Chéri, ont a pas eu le mémo… juste un gamin, c’est périmé en mer ! Il en faut au moins deux… »


Ce lundi, c’était l’anniversaire d’Adi, petit bout haut comme trois pommes qui a eu 4 ans. On a passé un avant-midi avec Aymeric à lui fabriquer un chapeau de pirate et une longue vue. « Mais pourquoi est-ce que moi je n’ai pas de cadeau ? Il est ou mon chapeau ? » Pour la première fois, il comprend ce que représente un anniversaire. Malgré quelques crises de larmes, il se réjouit, Adi a une pinata, comme Caillou ! C’est le summum !


Le Chat & Chill s’est donc transformé en pinata pour le plus grand plaisir des enfants. Isabelle nous a fait une fleur en s’occupant d’Aymeric avec la confiance et la maturité d’une gardienne avertie de 16 ans alors qu’elle n’en a que 10! (quoique, 11 ans aujourd’hui, comme c’est son anniversaire). Aucune barrière de langue ne tient, Aymeric lui prend la main et lui flatte la tête. Il adore être le centre d’attention des jolies demoiselles.

