La petite vie

Great Harbour Cay, Berry Islands, BA

Le vent souffle une brise très légère, les eaux salines et tropicales s’animent tout doucement autour de dorénavent. Un énorme splash, suivi de ronds à la surface, annoncent la présence d’un lamantin. Le soleil me réchauffe la couenne, je me fais dorer sur la plage du jour en jouant avec Aymeric. Je fais un château de sable, il écrase mon château de sable avec une certaine jubilation. J’ai même mis mon bikini bleu à fleurs très sexy. La tête dans les nuages, les fesses dans l’eau turquoise.

Constat qui me plait, je suis cacable de relaxer et surtout de prendre un peu de temps pour tout et pour rien. Mon état larmoyant des premiers jours du mois de janvier m’a bien taraudée. Orpheline de but, m’a écrit mon beau-père, Claude. On s’acharne, on se cramponne à notre objectif pour finir, flat on our ass, le jour J. Je pense aussi à une copine qui m’a fait part du vide vécu après la publication de son livre après des années d’acharnement. Purée que j’avais peur de ma propre galère, de ce spleen. Qu’est-ce que je suis venue chercher ici ; pourquoi est-ce que je suis en voyage aux Bahamas, en fait ? Je fuis comme la peste les tout-inclus et, règle générale, je voyage dans les capitales à la recherche de musées, d’architecture, trainant mes pieds dans les différents quartiers. Faire de la voile en Europe, l’idée me fait vibrer. Le sud, c’est pourtant le cerf-volant et la possibilité même d’apprendre à faire du kit-surf (Laurent a repéré une école à George Town). On a notre équipement de plongée/apnée, bien qu’Aymeric soit encore trop petit pour qu’on puisse s’y adonner en famille. Alors qu’à l’habitude, je suis la première à vouloir voir ce qui se cache à l’horizon, là, je me sens bohème. Depuis trois mois, mon regard était tourné vers le voilier, suivant notre route. Aujourd’hui, je veux sortir de la coquille, du ventre de dorénavent qui nous abrite. J’ai envie de vivre à fond, non pas dans l’excitation et la fuite vers l’avant, mais bien en expérimentant tous les petits détails qui tressent le fil de la vie bahamienne. Ironiquement, ça prend du temps, il faut laisser les jours s’écouler, se succéder sans prendre ses jambes à son coup.

Tous nos amis sont partis pour d’autres destinations exotiques dès le début de la présente fenêtre météo. Il faut dire que le front a gardé captifs sur l’île les voiliers en raison d’un fort vent d’est (25 nœuds) pendant une dizaine de jours. Perso, je n’étais pas prête à lever l’ancre, les voiles. Je commençais tout juste à être heureuse d’être en vacances de mes vacances ! Enfin, un petit’dej relax tous ensemble dans le carré. Ce n’est qu’en passant du temps au même endroit qu’on vient à rencontrer Steven, le gérant de la marina, Herbert le pêcheur ou bien David, le chef cuisinier de la salade de conque. Ce sont des gens ultra-charmants, mais comme ils voient passer une pelletée de voyageurs, surtout des Américains, ils sont quelque peu distants. Bullocks Harbour Settlement, le quartier noir délabré, juxtapose de très belles demeures construites dans le style de la côte est des États-Unis, propriétés de blancs qui habitent l’île. La configuration des espaces sociaux ne laisse aucun doute sur la vie parallèle des locaux, blancs et noirs, même si plusieurs centres névralgiques les rassemblent. La marina, dont l’étal des pêcheurs, en est un, l’épicerie du coin en est un autre. Réfractaire au départ, alors que Laurent souhaitait suivre Pénélépe et Herricane, je l’ai assommé d’un argument en béton… si on patiente encore quelques jours, jusqu’à la prochaine fenêtre météo, Aymeric sera très probablement propre !

J’ai eu le temps de jouer avec mon réflex!

Il faut pourtant se le dire, les fronts sont beaucoup plus violents dans les nord des Bahamas et l’hiver y sévit. J’ai reçu un courriel de Luc Bernuy. Lui qui connaît si bien les îles, il n’était pas trop surpris que je sois restée sur ma faim. Voici ce qu’il faut savoir et qu’on n’avait pas capté, mais alors là pas pantoute. Si on reste encore quelque temps, c’est en toute connaissance de cause. J’espère qu’il me pardonne de le citer tel quel, ça vaut vraiment la peine. Avertissement, Luc, tout comme moi, a laissé aller sa plume canadienne-française…

« Sur une autre note, plus pratico-pratique, Claudie je n’ai qu’un conseil à vous donner : DÉGUERPISSEZ AU SUD ! Oui, les Bahamas sont un Paradis d’eau verte, de soleil et de vent “’normaux”’. Je lis un début d’écoeurantisme aux forts vents et ses conséquences… T’as pas lu les “’small print”’ en bas du contrat ? Les voici : entre Noël et le 30 mars, il faut viser et rester le plus possible au sud de Staniel Cay (Exumas). C’est l’hiver et les fronts froids balaient régulièrement, avec un centre dépressionnaire passant par Nassau ou au nord de celui-ci. Pendant qu’il vente 35 nœuds à Nassau (ou au nord de), il vente 12 kn à Geortown (Exumas – 110 miles au sud de Nassau). En avril et mai, on a le loisir de pouvoir naviguer dans les Berrys, ou Abacos, avec des vents de 10-12 kn sous le soleil.

Profitez du prochain front avec ses puissants vents NW pour vous pousser au max vers le sud. Au moins jusqu’aux Exumas, voir 50 miles plus bas (Staniel Cay). Vous visiterez le nord (incluant Nassau), après le 15 mars si ça vous tente. Et puis, c’est à Geortown que tu trouveras plein d’autres voiliers avec des enfants et surtout, des parents qui pourront faire de l’échange de gardiennage, histoire de se donner un brake mutuel de “’parentalisme”’. Bref, le Paradis existe, mais il est au sud de Staniel Cay… GO estie ! »

Les requins nourrices adorent s’y promener

C’est donc la Petite Vie pour nous, ces doux jours se suivent et me réconfortent. Aucune crainte, je ne suis pas habillée en robe de chambre avec un bonnet sur la tête et Laurent n’a pas n’a pas de béret ni de pain sous l’aisselle… Honte à moi, non ? J’écris pour dire qu’il ne se passe pas grand-chose… Si ce n’est qu’un nouveau vent de 40 nœuds est annoncé pour lundi. Conséquence, dorénavent est attaché au quai de la marina de Great Harbour Cay. Bien sûr, on aurait préféré rester à l’ancre tout près dans le bassin adjacent. Par contre, comme il y a un tournoi de pêche en fin de semaine et que la marina est pleine à craquer, tous ceux qui souhaitent y trouver refuge ont conséquemment la mauvaise fortune de devoir rester à l’ancre. Là où on a passé la dernière semaine, en fait. On a estimé plus prudent de ne pas y rester ancré entre plusieurs autres voiliers ; les chances de jouer aux voitures tamponneuses m’apeurent. Je vais bien sûr devoir à nouveau faire face aux vents forts, à mes démons, juste pas maintenant.

La vue en arrivant à Great Harbour Cay, tout juste avant de voir le passage dans la roche!
Le passage

Kimberly, préposée aux réservations à la marina, a réussi à nous trouver une toute petite place… Elle fait des sourires à Aymeric. J’en ai profité pour la charmer, Aymeric dans les bras, pendant qu’on regardait ensemble les disponibilités… En échange de bon procédé et pour la remercier de notre place à quai, on a réservé pour une semaine. Comme on avait fait une entente avec Steven, le gérant, plus tôt dans la semaine, ils nous ont fait cette fleur. À l’ancre, on lui avait versé un petit 25 $ pour avoir le droit de prendre une douche par jour, de déposer un petit sac de déchet et d’attacher notre dingy pour nous baladé sur l’île. À la marina, on commande notre pain, délicieux, et il est livré un moment donné le lendemain, entre midi et minuit. Le temps flotte pour tout le monde, semble-t-il… Hier, Véronica, la femme de Mike, ingénieur en construction et proprio du voilier Amor a la vida, voulait une salade de conque. La serveuse était à l’église pour l’heure du dîner !

Notre pot Isaiah

C’est à l’arrêt que les rencontres valent vraiment le coup, c’est connu. En marchant sur le quai, on se sent quand même comme des ti-vieux avec Laurent. Great Harbour Cay Marina me fait penser à un Club Med avec son gentil organisateur et ses « activités sociales » diverses et multiples. Alors le lundi, c’est pot luck, le mercredi c’est pizza time et le vendredi, c’est Friday night grill. La bouffe est cuisinée sur place ; on danse sous les chapiteaux dressés pour l’occasion. Les locaux sont tirés à quatre épingles. À l’ancre avec nous cette semaine, seul notre copain Isaiah réduit considérablement la moyenne d’âge du haut de ses 18 ans ! Le lobster hunter, de son petit nom. Il vagabonde seul sur son Tanzer 26 depuis plusieurs mois. On l’a eu à souper, il en est réduit à trois repas de patates, fin de mois oblige. Connaisseur, il a conduit Laurent dans les tréfonds (de 30 à 35 pieds) des rochers de l’île pour capturer de la langouste. Deuxième étoile à droite et puis tout droit jusqu’au matin ! Le meilleur festin depuis des lustres, quoique de le voir arracher la conque de sa coquille laisse un peu nauséeux.

Lady Bess, son Tanzer 26
Un Vague-à-bord plus grand
La vraie bête
La Go-Pro a subit un peu le sel de mer, mais on voit bien la taille!