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Staniel Cay (Little Farmer’s Cay) — George Town, Exumas
Départ le 14 février à 8 h 30 — arrivée le 17 février 2017 16 h 12
20 ; 45 milles nautiques (dont 8 heures de voile à 4,8 nœuds !)

Chasse aux produits frais…
Au départ de Staniel Cay, après un roupillon monumental dans sa cabine, on a amené Aymeric avec nous pour charmer monsieur Burke de l’épicerie bleue. Ça fait déjà quelques jours que les dernières vivres ont disparus dans nos bidous et on cherche activement à croquer une pomme ou deux. Il y a trois jours, on avait mangé une crème glacée avec lui, tout doucement, assis sur un banc dans son jardin.

L’épicerie bleue, Staniel Cay

Aujourd’hui, c’est sa fille qui tient la caisse et elle explique, à regret, que le mailboat doit venir demain ou après-demain. Jusque là, il n’y a que des poivrons rabougris dans le frigo. Oh, ils ont tout de même les super biscuits à la noix de coco sur lesquels on jette notre dévolue depuis Great Harbour Cay. Monsieur Burke joue à la cachette derrière une étagère de conserves de légumes avec Aymeric, qu’il a reconnu. Il n’y a plus de pain. Comme toutes les femmes marins dignent de ce nom, je suis censée le faire moi-même, mais le pain bahamien… miam ! Bah, pas grave, on va prendre deux trois trucs. On part demain, à la St-Valentin, pour Little Farmer’s Cay. On rattrapera le mailboat là-bas.

Staniel Cay
Marina de Staniel Cay
Marina de Staniel Cay

En allant payer notre coffre d’amarrage, le monsieur à la capitainerie du Little Farmer’s Cay Yacht Club laisse sous-entendre qu’il n’y a rien à l’épicerie. Le super festival, qui a eu lieu la semaine dernière, a vu plus d’une centaine de voiliers sur la petite île. À l’habitude, il y en a une dizaine… Demain, le mailboat arrivera.

Little Farmer’s Cay

À la pêche ! Après avoir énervé le barracuda qui a élu domicile sous notre coque, l’homme grenouille part à la chasse sous-marine. Ça me chipote, je n’aime pas le savoir seul sous l’eau. Là, il cherche des langoustes sous ma supervision constante, les fesses dans le sable. Rien… Au moment de partir, un autre équipage aux masques de plongée tourne autour du rocher. Nomad (Virginie, Matan & Amos, Noa, Adi), un voilier 1988 en aluminium des chantiers Garcia est bien calé dans la crique tout près grâce à son dériveur intégral. Des francophones suisses ! On espère avoir le plaisir de faire plus amplement leur connaissance, la plus jeune a tout bientôt 4 ans. Bien sûr, on est revenu bredouille. La chance a quitté le navire depuis un p’tit’ bout côté pêche. En fait, c’est depuis que notre leurre préféré s’est fait engloutir par le monstre du loch Ness pendant une navigation.

Little Farmer’s Cay

Purée, ça se mange vraiment !

On croise les doigts. Aujourd’hui, on pourra manger des fruits sans se taper de la compote. Sacs recyclables, gourde d’eau, crème solaire, appareil photo dans mon sac, on attache le dingy au quai du settlement, charmant village coloré typiquement bahamien. On réussit à faire quelques pas quand Aymeric, qui pleurniche vraiment fort, reste immobile en plein milieu de la route et refuse d’avancer. Purée, s’en est fini de la balade sur l’île…

aarrrggghhh

Sur la place commune, un homme se repose sous les palmiers, le regard perdu au loin. Down, aka bread man, dit d’emblée “Come talk to me, I don’t bite. Islanders are the friendliest of all.” Aymeric est trop content de regarder les raies, qu’on lui foute la paix avec cette foutue marche.

bread man

Au fil de la discussion, on apprend que bread man a la soixantaine, qu’il est natif de Little Farmer’s Cay. Habitant à Nassau, sa sœur l’accueille lorsqu’il revient plusieurs fois par année. L’économie est difficile, mais les gents s’entraident et tous font preuve de créativité. À la fin de la période esclavagiste, ceux présents sur l’île en ont acquis la propriété. Depuis, leurs descendants ne peuvent vendre un terrain ou une maison qu’à un Bahamien.

Little Farmer’s Cay

bread man regarde Aymeric avec tendresse, il a plusieurs petits petits-enfants et un nombre incroyable de cousins et cousines (il a plus de 12 frères et sœurs !) Gentiment, il me demande si j’ai des piles pour son appareil photo. Il se trouve que oui ! J’ai aussi quelques médicaments et des vêtements pour enfants, en bon état. À Véro Beach, j’avais lu le post d’un voilier qui en mentionnait le besoin criant sur cette petite île. bread man va chercher son appareil pour nous montrer des photos du festival et rapporte deux oranges. Aymeric dévore le fruit des yeux. Je suis vraiment émue par ce geste d’amitié.

Une conque

Merdouille, en attendant l’arrivée du mailboat, je voulais envoyer des cartes postales. Un énorme cadenas enjolive la serrure de la poste… « Ah, but Mrs. Knowles owns the post office. She does not stay there. She lives right here in this green building. Go ask her! » Ce n’est pas ma journée, Mrs. Knowles n’a pas de timbre et le mailboat n’est toujours pas arrivé. Bon, on commence à avoir un peu faim. Le resto connu, Ocean Cabin, se trouve juste derrière nous. Mais non, le cousin de bread man (ou bien le neveu, je n’ai pas suivi…) Dino, cuisine des salades de conques au Capt’Conch sur le quai, juste devant vous.

Dino à l’action

Ça fait un bail que je veux en manger « civeche » et je sens que c’est le bon moment. Aymeric, de plus en plus fatigué, regarde étonner les raies qui suivent les mouvements de Dino. C’est ma leçon de découpe « d’escargots » mous. Ce qui ne va pas dans la salade nourrit raies et tortues qui habitent le lagon. Bien sûr, je tripe tellement à prendre des photos que je n’ai rien suivi ! Outre la veine mystère qu’il faut absolument enlevée, il y a aussi un tube transparent et gluant. La légende urbaine veut que ce tube soit l’organe reproducteur de la bibitte. Il va de soi que pour être un homme viril, il faut le manger ! « More children, more children?! » Dino pend le tube sous le nez de Laurent qui le regarde avec un dégout, ma foi, viscéral. Non non ! Pauvre Dino, étonné, hausse les épaules (pfff, ces touristes) et s’enfourne le tube sans cérémonie dans la bouche. Il est pour la première fois grand-père depuis ce matin, son fils de 21 ans a eu lui aussi un fils. Comme quoi ça fonctionne le tube ! Chop chop, les poivrons verts, ognons, orange et piments pour donner une salade colorée.

Il va tirer sur la bibitte!
À la machette

Le spectacle se termine assez rapidement. Il faut rentrer au voilier, Aymeric n’en peut plus. Je triche un peu… à la maison, je rajoute de la cassonade et de la lime à ma salade. Les renvois d’ognons crus, purée. Ce n’est pas tout, je dois retourner sur l’île pour donner à bread man le contenu de mon sac, mis de côté pour l’occasion, sans oublier les piles. Il connaît bien l’infirmière et pourra lui donner ce qui lui revient.

Dino à l’action
Dino

En débarquant, le village dort. Je suis intriguée ; seul Carlos, un autre cousin de bread man, marche à ma rencontre. Voyez-vous, le mailboat est arrivé, tout est fermé ! Ce n’était pas la peine d’espérer avec tant d’ardeur. On mangera de la salade de fruits à George Town, demain. Toujours est-il que Carlos titube vers moi. Il me traîne vers le resto Ocean Cabin (oui, oui, c’est le cousin de bread man qui en est propriétaire). Le gentil proprio me dit d’aller voir la sœur, elle habite la maison bleue et blanche juste en dessous. Carlos, qui embaume le rhum, me dit « shut, but I am drunk ». C’est possiblement la seule chose que j’ai comprise de tout ce qu’il m’a dit ! Sans flafla, la dame assise sur son divan dans une atmosphère étouffante chintz à grosses fleurs, dentelle et tapisserie me dit de poser mon sac dans le coin de la pièce. Merci bonsoir.

Little Farmer’s Cay

Au retour, l’équipage du Velvet m’intercepte en dingy. Là aussi, je suis touchée par l’entraide, la générosité des gens. Ils ont vu Aymeric et me demandent si on a besoin de quoi que ce soit. J’avoue en peu gênée que s’ils ont des fruits frais, je suis preneuse. Youpi, une pomme et un pamplemousse !

On s’est bien rendu à George Town et, contre toute attente, on a réussi une de nos meilleures journées de voile. La direction du vent, faiblard (6-7 nœuds), correspond à 75 degrés près à notre cap, notre destination. Je sors les Glénans, des infos glânées à droite et à gauche et j’affine nos réglages sans relâche. Quelques tests sont hyper concluants, d’autres vraiment pas. Miracle, on dépasse un autre voilier, le seul fou à voile ! Ce que je ne sais pas, c’est qu’il s’agit de Honey Mooner (Hunter 36, Andrew et Sarah) et, la dernière fois qu’on a fait la course avec eux, ils ont mangé nos vagues. Merdouille, je me sens un peu mal, tout en vivant un petit triomphe intérieur. En tout, 8 heures de voile dans des conditions sans vent ou presque. Comme on arrive tout juste avec l’énergie des batteries ces derniers temps, on refuse d’utiliser Wagner, notre pilote automatique. L’un de nous était à la barre en tout temps. Toute une réussite !