David contre Goliath
Great Harbour Cay, Berry Islands, BA
Éric, l’oncle de Laurent, sous le couvert d’une missive, nous souhaite une navigation à la Moitessier… bien loin d’être notre pain quotidien, on a transformé dorénavent en véhicule récréatif (camping-car) ! La peur viscérale des premiers jours aux Berrys a laissé doucement place à l’envie de renaitre, d’explorer, de voir du monde. Ce front dure maintenant depuis plus de 10 jours ; 10 jours à nous balader au bout de notre chaine devant des quais, bien protégés dans notre trou à ouragan. Au diable la température, ce n’est pas parce qu’il fait moche et gris qu’on doit rester à l’intérieur.



Ces derniers temps, les batailles épiques sont nombreuses à bord. La dernière, au gout du jour, vise à rendre Aymeric propre. Voici un aperçu sommaire du coût extravagant de l’épicerie, en dollars américains. Ne pas oublier la surcharge de 5 % pour l’usage d’une carte de crédit :
- 2 pauvres poivrons rouges pour la modique somme de 13,36 $
- 1 livre d’asperge… 7 $
- 1 livre de bœuf haché congelé… 7 $
- une patate douce (le prix est au poids, le poids n’est pas marqué sur la facture)… 4,50 $
- 1 noix de coco… gratuit ! Elles tombent des arbres et on les mange.
Devant la petite épicerie écrue, je me suis voilé la face en me disant que notre réserve de couches est suffisante pour les deux prochains mois, si on limite au maximum la consommation journalière. Le paquet de 15 couches frôle les 30 $ ; ça fait cher pour faire caca. Entre l’eau douce et les couches, mieux vaut faire du lavage de bobettes (petites culottes) et payer l’eau. Donc, David à l’attaque, Aymeric sera propre ! Accompagner un enfant dans sa capacité de faire usage ses sphincters, ça va de soi, non ? Ben non ! Question perspective et mise en œuvre, l’homme et moi-même ne sommes pas d’accord. Au point culminant de la discussion, on pouvait entendre ces répliques rationnelles : « tu t’en fou. Il pourrait faire pipi sur ton oreiller et tu t’y coucherais la tête avec joie ! » « Ce n’est pas un chien ! On ne va pas lui mettre un papier journal et l’obliger à rester dehors dans le cockpit toute la journée ! »

Si on retrace les derniers jours, c’est évident qu’Aymeric urine dans ses vêtements lorsqu’il joue et perd toute notion corporelle et temporelle. On n’a pas de piqué, mais le dessous des cousins est fait de cuirette. Alléluia. Ils ont tous été retournés pour sauvegarder le peu de « salubrité » dont on dispose. Les cernes sur le matelas d’Aymeric n’annonçaient rien de bien joyeux. « Ce n’est pas parce qu’ils sont déjà tachés qu’on va tout faire pour leur donner un coup de pelle et les achever ! ». En attendant, je pensais mettre sur son lit un rideau de douche ou bien une nappe avec le dessous en « flannelette » ; il n’y a rien de trop beau pour les gens en bateau.
L’autre solution, c’est bien sûr de l’asseoir aux toilettes dès que ça nous passe par la tête, se souvenant de la relative jeunesse de la vessie d’Aymeric. C’est foireux comme plan. Trop souvent, je pense que Laurent est sur le coup, mais comme je n’ai pas été claire, Aymeric fini tout même par se soulager sur le sofa. Réfléchis Claudie, réfléchis ; qu’est-ce que tu ferais à la maison ? Une nouvelle routine du pipi doit être instaurée (l’une des choses que j’aime le plus à propos de Laurent, c’est sa capacité à être structuré. Quand je n’ai pas envie de lui arracher la tête pour cette même qualité, je l’apprécie beaucoup. Ma vie est réglée au quart de tour et donc beaucoup plus facile). Cette nouvelle routine doit aussi soulager l’un des poids qui m’incombent, on ne sait pourquoi : faire le sac de promenades d’Aymeric. « Je ne fais jamais le sac parce que je ne sais pas ce qui va dans le sac ! » Je n’ose le lui dire, mais moi non plus. Au gré du vent, j’y enfourne des choses… quelques fois, il y en a trop, d’autre fois, il en manque. Bref, toutes les 30 minutes, Aymeric déclenche lui-même le compteur sur mon I-Phone ! Lorsque le temps est écoulé, peu importe où nous sommes, il/on fait pipi. Aussi, la liste des choses vitales à mettre dans le baluchon pour les sorties est écrite en haut de la boite jardin, mon fourre-tout par excellence. Quand vient le temps de partir, c’est fini les larmes et le puissant sentiment d’être exaspérée par mes hommes qui tournent en rond pendant que je fais le maudit sac, il faut tout juste attraper le baluchon ! Aymeric a tellement grandi, c’est un petit garçon maintenant.
Hier matin, il me regarde les yeux tendres « Maman, tu ressembles à un lavabo. » Pardon ? « Oui, ton coup ressemble à l’endroit où on se lave les mains ! »


Heureux comme un pape de ses dernières pêches, l’homme a engagé une bataille féroce contre Goliath, la langoustine. Les Berrys sont une chaine d’îles bordées de plages au sable fin, d’une blancheur étincelante. Au nord, Great Strirup sert de repère aux vacanciers qui y sont déversés pour la journée par d’immenses navires de croisière. L’eau turquoise fait rêver et on décide d’explorer une petite plage tout juste hors d’accès des motomarines qui grondent au loin. Sous les flots qui se retirent, j’aperçois ma première conque ! Laurent marche tout juste sur une raie. L’homme grenouille repère les antennes d’une langouste, dans tout juste 1 pied d’eau. S’ensuit alors une chasse effrénée, tous ses sens en alerte… En fait, Laurent avait l’air déçu du manque de jugement de la bête féroce… « je l’ai manqué au moins 6 fois, mais elle s’enfuyait de tout juste 2 mètres… Elle m’a laissé trop de chance… » Le corps recroquevillé de la langoustine pendouille au bout du harpon, l’homme de Néandertal rapporte la pitance pour sa femme et son enfant. Purée que c’était succulent. Conclusion de l’histoire de pêche, ça prend un sceau et non un sot ; un filet pour rapporter les prises à l’annexe sans attirer les requins. J’ai eu le loisir de faire une petite plongée avec Laurent et la vague m’a projetée à plusieurs reprises sur les roches pendant que je tentais de me retourner, conques en main ! De sa petite pince, le truc me darde pour que je le laisse tomber sur le sol. J’en ai un peu peur, moumoune que je suis. Une bonne gorgée d’eau de mer plus tard, je dois les relâcher, elles sont trop petites.

À un bout du quai de la marina, Carla, Joe et Ethan (grands-parents du petit garçon de 6 ans) sont amarés depuis environ 1 mois ; c’est leur deuxième saison aux Bahamas à bord de leur voilier Mahi. Trop chouette de voir Ethan prodiguer des soins à Aymeric alors que celui-ci ne comprend rien ! Ils ont réussi à jouer à cache-cache et aux Legos. Je ne suis pas certaine qu’ils comprennent l’un l’autre que leur compagnon parle une autre langue. Carla nous a pris sous son aile à un moment où j’avais bien besoin de voir du monde. D’une franchise rafraichissante, elle me demande avec candeur comment je vis le parentage d’Aymeric sur le voilier. Ayant adopté leur petit-fils, elle se retrouve à nouveau à vivre les mêmes étapes que nous. Pleine de ressources, elle me fait part de ses secrets pour élever Ethan sur un voilier et de la vie sur l’île. Les moyens de locomotion motorisée sont rares, elle jouit du camion d’un ami à elle. Pour me donner un lift à l’épicerie, on se cache à l’entrée de la marina. Personne ne doit nous voir. Mission impossible en action, je cours pour rattraper le camion avant qu’ils ne partent. L’année dernière, une de leur connaissance a été expulsée de l’île sous la force de la vendetta du proprio de la seule compagnie de taxi. Il aimait trop rendre service avec son camion…




À l’autre bout du quai, il y a le voilier Pénélope, maison-bateau de la famille de Patrice et de Karine (Leydi Paola, Louis-Gabriel, Évangéline, Esteban et Joanie). Karine est orthopédagogue de formation. Tellement belle, douce et patiente envers ses enfants, chacun à sa manière ayant quelques difficultés d’apprentissage et autres. Elle fait partie de ces gens qui nous amènent à vouloir nous dépasser, à être une meilleure personne pour ceux que l’on aime et chéri. Aymeric aussi a été séduit. Quel plaisir de festoyer avec eux !

