Carte postale

Shroud Cay, Exumas — Big Major, Exumas
Départ à 8 h 30 — arrivée à 16 h 12
36 milles nautiques

Big Major spot, tout juste au nord de Staniel Cay. L’image parfaite de la carte postale bahamienne, une déclinaison de bleu sans pareil, des plages à perpétuité au sable blanc et, bien sûr, des cochons qui nagent dans une eau turquoise. (Vous avez déjà vu un sanglier ? C’est pas beau… un cochon non plus ! La tête de la bête omnivore arrive pile-poil à l’entrejambe de Laurent et cherche avidement de la laitue. J’me fous de sa gueule. Pis, y’a pas juste des cochons, y’a aussi des poules qui te réveillent dès le lever du soleil !) La mer est tellement translucide que la nuit, lorsqu’il n’y a ni vent ni vagues, l’ombre du mât se matérialise au fond de l’eau, laissant planer le mystère mystérieux des pirates. Je suis souvent frappée par l’aspect visuel qu’offre le spectacle de la voiture-bateau qui « vole » sur l’eau derrière dorénavent.

Big Major Spot
Big Major Spot
Big Major Spot

La carte postale est d’autant plus géniale qu’avec Aymeric on se baigne plusieurs fois par jour depuis le voilier ! Il a nagé entre Laurent et moi, sur plus d’un mètre, pour la première fois. Il saute avec allégresse de la jupe et met sa tête dans l’eau un millième de seconde pour « voir » les poissons. Ce matin, il a dit à Laurent « papa, regarde, je crois que je vois une raie ! » C’est le premier à avoir vu le requin qui se baladait sous la coque. On n’a plus du tout le sentiment d’être prisonnier du voilier et de son manque d’espace. On s’empare même de la proue et on passe à nouveau un temps considérable dans le cockpit. Je suis à la recherche d’un passe-temps, un herbier peut-être… je m’ennuie de mon matériel de couture et de courtepointe. J’ai bizarrement oublié qu’ici, on a du temps. Les journées chaudes, je fais de l’aquaforme le matin avec Aymeric. Première randonnée sous-marine pour monsieur à la grotte Thunderball. Il a admiré les poissons à partir des rochers, sans jamais mettre la tête dans l’eau. Il grandit tellement le petit homme. Bientôt, on pourra tous plonger en famille !

Thunderball Grotto
Thunderball Grotto
Thunderball Grotto

Notre comportement de marins me laisse songeuse… soit qu’on a des verres dans le cul — alors là, je prends le temps d’expliquer, tout de même. La joyeuse expression signifie avoir une grande envie de bouger, d’avancer, de se mouvoir — soit qu’on laisse pousser les bernacles sur la coque, au fil des jours qui passent au même ancrage. Big Major Spot est bien connue comme c’est le premier settlement après le parc naturel des Exumas. Attention au raid après le passage du mailboat (le cargos de livraison des vivres et autres), on n’a réussi à récupérer comme produits frais que deux pamplemousses et 4 patates ! Scandale, ma laitue a été jetée aux cochons ! Pas grave, on a pris notre temps et passé un bon moment en compagnie de Burke, le proprio de l’épicerie bleue. Caché par de jolies fleurs, assis sur un banc en bois, on mangeait gentiment une glace en discutant avec lui pendant qu’Aymeric flattait le chat de la maisonnée, Yellow. Bien sûr, c’est très probablement un octogénaire, mais la lenteur de ses mouvements, son sourire timide et tout simplement sa manière d’être, calme et généreuse, sont un appel à la sérénité, au baba cool. Stressé, pourquoi être stressé ? Mmm me dit-il, le Canada. Il fait froid au Canada, non ? J’ai osé lui montrer la photo du balcon de ma mère, recouvert d’une neige abondante. (Ben oui, alors que j’envoie des photos de la plage, elle me retourne des photos de l’hiver ! Baveuse, qu’elle me dit, sans aucune honte.)

Sampson Cay

Longue histoire courte, il y a quelques jours, on a laissé Sandflea à Highborne Cay en pensant les retrouver à Shroud Cay et passer plusieurs jours dans le parc naturel des Exumas en leur compagnie. Pour me remercier de sa leçon de natation, Molly m’a fabriqué un bracelet en élastiques colorés (ça doit être la version moderne de ceux en brins de laine de ma propre enfance. J’ai eu une petite vague de nostalgie et je me fais un devoir de le porter pendant mes sorties mondaines au village). La prévision météo et le vent annoncé en ont décidé autrement. Pour nous protéger des bourrasques du nord à venir, on a pris la poutre d’escampettes vers Big Major Spot. La logique était tout de même rationnelle, si je puis dire. Alors, demain, le vent est suffisamment fort pour faire de la voile, ce qui n’est pas le cas le sur lendemain. Certes, demain, ile vent est du sud et il faudra donc remonter au pré serré, voire louvoyer (tirer des bords). Par contre, le sur lendemain, il n’y aura tout simplement aucun vent. En conséquence, il faudra avancer au moteur. Pas fou toé. Sauf que Zéphyr nous a fait une bonne blague, pauvres cons qu’on est. On s’est tapé des milles nautiques de dérive avant de se rendre à l’évidence… Oui, le vent est fort, mais le cap recherché est directement dans le vent. Il a tout de même fallu démarrer le moteur pour arriver à destination.

Sampson Cay
Sampson Cay

Merdouille. Dans ma tête, je fabule et je course contre les voiliers rencontrés en navigation. Je sais, ils ne le savent pas. Ça ne m’empêche pas de jubiler, de temps en temps. Je privilégie la vitesse et la puissance, Laurent, le cap. Ça vous étonne ? Je m’écarte de la route, encore un tantinet plus pour filer à 6/6.5 nœuds. Derrière nous un splendide catamaran de course remonte encore plus difficilement au vent. On le regarde, une pointe d’envie dans les yeux et là, la sempiternelle discussion sur l’achat du prochain voiler redouble d’ardeur. Je crois bien que Laurent a réussi à me convaincre et qu’on aura, un jour, un catamaran.

Sampson Cay

Depuis, à Big Major Spot, le front est venu et avec lui, la moitié du Québec (celle qui n’est pas Floride.) Sans blague, sur la quarantaine de bateaux au mouillage, plus de 80 % sont canadiens. Ce matin, en une heure, pas moins de 6 voiliers navigants pavillon canadien – et comme nous, orné du drapeau québécois, ça va de soi – sont venus s’ancrer à nos côtés. On a eu la chance de croiser l’Anse aux fraises, un 33 pieds en aluminium, construction maison. Ils se sont abrités plus loin et on espère bien les revoir, ils ont à leur bord trois gamins — Arnaud, 8 ans, Rose 6 ans et Emma 2 ans ! L’heure de la civilisation et de la socialisation a tout de même sonné. Pas trop loin de nous, Baila con el viento, un voilier Ericksen de 39 pieds fabriqué en 1973, navigue avec Samantha, très jolie demoiselle de deux ans et ses parents, Kayla et Nicholas, Américains. C’est un bon plus pour Laurent qui va maintenant à la pêche sous-marine avec ses pots anglos ! « Mmm, kill fish? »

L’attaque des clones! Sampson Cay
L’attaque par la force, à mort les clones!

La popote qui tue

Ces derniers jours, on semble de mieux en mieux immuniser contre les aventures en tout genre, surtout celles qui, surprise, te prennent de court pendant un front froid. On n’a eu aucun souci avec l’ancre, c’est plutôt notre bouffe qui nous joue des tours.

Le flou artistique entourant la conque sortie de son coquillage…

Avant hier, Laurent m’a rapporté une conque de son apnée journalière. La popote horrible ! J’ai dépecé l’escargot encore vivant qui se mouvait dans mes mains. J’ai eu des tressaillements et la nausée, sous l’effet des vagues et de l’odeur du mucus propulsé par la créature des mers ! Google it m’a sauvée… « Découper une conque »… « Chéri, le blogue de La rose des vents, qui a fait le voyage v’là un bon bout, dit qu’il y a une vaine qui contient un fort poison, cachée dans la chaire, entre les yeux et la partie gorgée orange. Des yeux ? C’est quoi les yeux ? » La bibitte pendouille au bout de la pince et se dandine en raison de mes forts mouvements de main. Vlam à droite, vlam à gauche. L’homme, pendant ce temps, s’acharne sur une noix de coco, juste à côté de moi. Grrr. J’en ai même fait des cauchemars.

Miam…
Résultat final

Question de bouffe venimeuse, hier soir, on a reçu Nic, Kayla et Samatha à bord pour une soirée dévergondée… tout le monde était encore debout à 20 h 45 ! Dans l’après-midi, Nic et Laurent ont chassé une quinzaine de rascasses volante (lionfish) et une langouste. Samantha aime tellement les langoustes que lorsque Laurent est allé la faire cuire au BBQ, mademoiselle l’a suivi dehors en disant « lobster, lobster! »

L’amoureuse des « lobster »
En revenant de la plage, quelqu’un a demandé à Kayla si elle avait perdue le « frère » de Samantha!

À part la ciguatera, le principal risque du poisson invasif demeure les épines, à la manière d’un porc épique à cette différence près que celles du lionfish sont parmi les plus venimeuses de la mer. Mes instruments de torture à la rescousse (comprendre les ciseaux de cuisine, la pince à BBQ et le couteau à filet), je suis debout devant ledit poisson et je me gratte la tête. Le tout semble tellement complexe… J’ai eu le droit de regarder un vidéo YouTube sur le dépeçage de la rascasse, vidéo présentée par une bonne femme blonde dont on aurait dit qu’elle manipulait un cochon d’Inde et non une bombe post-mortem. Elle est très claire, il faut de l’eau très chaude, bouillante, pour y plonger les mains, le cas échéant. Bon, comme disent les Anglais, go ! Je tergiverse encore un peu. Est-ce que je mets des gants ? Je sens que comme je suis gauche, il vaut mieux limiter les chances de faux mouvements. J’en suis au deuxième poisson quand, soudainement, j’ai l’impression diffuse de ressentir des picotements sur mon doigt. La nageoire m’aurait-elle effleurée ? C’est tellement subtil que je poursuis ma boucherie. Jamais je ne ressens de douleur, mais mon pouce enfle et ma main fourmille. Elle me démange sous l’attaque de légères piqures. Purée ! Je plonge ma main dans l’eau et, d’un commun accord, on laisse tomber les rascasses pour une salade de chou au chow mein et tofu. Le lendemain matin, j’ai toujours la main engourdie et ces satanés de poisson sont toujours dans notre frigo ! Avec ma copine Kayla qui démarre son moteur hors-bord, le capot ouvert, avec une corde, en tirant comme pas deux, on est clairement en voie de devenir des fermières aptent à dépecer une vache en plein Montana l’hiver !

Rascasse volante dans ma cuisine