Anne Bonney & Mary Read

Rose Island, Nasseau (Highborne Cay, Exumas; Shroud Cay) — Big Major, Exumas
Départ le 1er février à 8 h 30 — arrivée le 7 février à 15 h 45
33 ; 13 ; 34 milles nautiques

Dans les années 1700, aux Exumas, mesadames Anne Bonney et Mary Read, boucanières de profession, naviguent abord de la frégate du célèbre Calico Jack Rackham. Arrêtées par la couronne britannique pour piraterie, elles plaident devant le juge l’état avancé de leur bédaine. À l’époque, la loi anglaise interdit de pendre toute femme enceinte, peu importe la gravité de son crime*. L’idée me trotte dans la tête. Difficile de ne pas y penser ; j’ai les seins qui me rebondissent sur le front alors que Laurent fait sortir de ses tripes notre moteur hors-bord. Il y a la vague, voyez-vous.

Si les Anglais parlent au féminin de leurs navires et voiliers depuis des lustres (d’ailleurs, Lady machin vient en tête de liste des noms de l’année, encore et toujours), il va sans dire que la présence d’une seule femme à bord est acceptable, point barre. Comprendre qu’il s’agit du navire, bien entendu. Mon moral est au zénith, le plan d’eau des Exumas est tout simplement sublime à la voile et le fond à une tenue de rêve… Oui, je m’extase devant la fermeté du sable !

C’est donc le moment idéal pour faire la gamine et choquer les convenances, en toute impunité et sans réprobation sociale, cela va de soi. Dune manière tout à fait impertinente, j’aborde, à cœur ouvert, la fatidique question de la corporalité féminine sur un voilier. Corporalité… Corps… Soyez averti, gentleman et autres — papa, je pense tout particulièrement à toi. Arrête de lire et contente-toi de regarder les photos. J’en termine donc franchement avec les arabesques du verbe pour citer une bonne copine : « shit, tu fais quoi pendant tes règles ?! »

Aymeric et Molly

Je suis qualifiée pour m’épandre sur le sujet comme on vit maintenant depuis plus de 4 mois sur le voilier et que, en moyenne, on utilise à tous les trois environ 13 litres d’eau potable par jour. Yup. D’accord, il y a l’eau de mer, mais tout de même. Dans un appartement, une seule chasse d’eau équivaut à environs à 20 litres d’eau. Veut, veut pas, ça demande une bonne dose de réflexion prédépart parce que si tu penses utiliser des serviettes hygiéniques, alors où vas-tu les ranger ?! Les acheter ?! Des tampons/Tampax, c’est un peu mieux côté espace, mais tu te retrouves toujours avec des poubelles en plus. Encore que dans l’Intracostal, ça passe. Aux Bahamas, il y a un dépôt de poubelles payant (5 $ du sac) aux semaines, si tu es chanceuse… Oublie ça, tu ne peux pas mettre tes tampons dans la mini-toilette (tellement mini que si tu y es assise trop longtemps, tu as des fourmis dans les fesses pour cause de blocage sanguin). Le tuyau d’évacuation ne manquera pas de bloquer en deux/trois mouvements. Je n’imagine pas la tête de l’homme « Chéri… uummm, désolée, j’ai bloqué la sortie d’eau des toilettes… avec un Tampax… » Pour être honnête, même le papier de toilette ne retrouve pas sa liberté dans la grande bleue. À ce propos, le conseil monumental d’une amie m’a sortie de la tête avant le départ et, depuis, oh combien je m’en veux. Mesdames, la poubelle des chiottes, elle doit avoir un couvercle ! Comme l’étiquette marine des pèlerins de la voile (le club sélect des paumés qui se marrent des huileux) veut que personne n’utilise les w.c. d’un autre voilier, ça va. Personne ne « voit » ma poubelle. Bon, avant de divaguer encore plus, laissez faire les Tampax et les serviettes hygiéniques, ça prend une Diva cup en voyage, d’autant plus sur un voilier. Pour les novices, c’est un récipient en silicone chirurgical qui s’insère pour recueillir le fruit de dame nature. Si tu cherches un ami chez Jean Coutu, tu y trouveras aussi une Diva cup.

Highborne Cay Marina

Équipée de ladite coupe menstruelle, encore faut-il savoir sans servir avec doigté… Quelques semaines de pratique suffisent, bien que le geste ne soit pas instinctuel du tout. Si tu es parmi les chanceuses pour qui ça vient tout seul, profites-en ! Alors, ce qu’il faut tout de même garder en tête, pendant cette précieuse semaine, c’est que comme pour toutes les coupes, ce qui y entre peut facilement en sortir… Je m’enfarge dans les fleurs du tapis. Si possible, ne pas vider la coupe à voile ! La toilette (et tout ce qui s’y trouve) est penchée à plus de 15 degrés. Si Zéphyr s’acharne sur ton cas, dans les vagues, le voilier aura un soubresaut horrible, juste au mauvais moment. Picasso pendant sa période rouge ? « Chéri, ummm, je ressens une envie pressante de nettoyer la salle de bain, là là ! »

Sous l’affiche de la photo précédente…

Alors, s’il n’y a pas beaucoup d’eau potable et qu’il fait un froid de canard dans l’Intracostal, la même copine me demande : « Tu te laves au moins ? » Bien sûr que la réponse est oui, c’est que mon « bain » ne prend pas la même forme. À la mitaine, de la bonne vieille manière. Un super truc qui m’est resté depuis mon voyage en Afrique ; avec de l’eau, on se sent beaucoup plus fraîche. Il n’y avait pas de papier de toilette au Mali. Je pense qu’il s’agit de l’adaptation culturelle qui m’a été la plus évidente. Ne pas laisser le récipient au soleil, « s’essuyer » après avoir fait pipi brûle en titi ! Bref, j’ai acheté un contenant un plastique avec bouchon et petite paille chez MEC et le tour est joué. Sinon, j’ai bien des lingettes intimes pour femmes. Ça sent le potpourri. Franchement, à force de langer Aymeric, je me sens infantilisée, le carré de tissu jetable entre les mains.

Shroud Cay, Exuma Cays Land and sea park

Si j’avais un ange et un démon au-dessus de ma tête, le second dirait : « Pfff, c’est quoi l’idée ? Pourquoi ne pas prendre la pilule en continu ou bien le truc, tu sais, la piqure aux trois mois ? » La piqure, on oublie. Un seul recourt à un service médical au pays des trumpistes et je suis ruinée. La pilule ? Bien, je me la joue conservatrice et j’aime me rappeler tous les mois que je suis une femme. Ben non. C’est con, mais j’ai prévu le nombre de boîtes en fonction du nombre de mois… je suis donc obligée de prendre la semaine de cachet placebo sinon je n’arrive pas à la fin de l’année ! À voile, j’ai une copine qui a un stérilet et une autre qui vante les louanges du calendrier. Là aussi, c’est un pensez-y-bien.

Shroud Cay, Exuma Cays Land and sea park

Mon homme, je le trouve beau. Il m’attire d’autant plus qu’il m’impressionne tous les jours. On a toujours la qualité de son défaut, non ? Il est intelligent, réservé et surtout, sombre et mystérieux. Malgré la rareté de l’eau potable, loin de la routine métro-boulot-dodo, la promiscuité d’un lit bien chaud et humide sous le dessous d’un cockpit, ça a de quoi plaire. Je me suis fait dire que je ne suis pas la seule. Une chance qu’Aymeric se couche tôt et se lève tard. Une amie nous a même proposé de le garder pendant « que vous prenez votre temps pour aller chercher ce qui vous manque au bateau, ensemble ! » Pour ne pas me retrouver comme Anne Bonney et Mary Read — sur la terre ferme, j’ai eu des nausées pendant 9 mois, je ne veux même pas imaginer sur un bateau ! — il fallait trouver le bon plan pour l’année.

Shroud Cay, Exuma Cays Land and sea park

Jamais au grand jamais, adolescente, je n’aurai dû me moquer de ma mère et de son syndrome prémenstruel. Vlam le karma ! Vaut mieux en rire qu’en pleurer. Si, sur terre, une fois par mois, tu passes une journée à mordre et à pleurer — bien sûr, je parle de moi-même —, ça va être la même chose sur le voilier. Sauf que, tout est décuplé parce que tu ne peux te « cacher » ailleurs que dans l’une des trois « pièces » intérieures. Je n’y avais pas pensé, mais il y a toujours le mât… Intellectuellement, je sais ce qui m’arrive, mais je suis tout de même envahie d’émotions qui tourbillonnent et me noient. Ça alterne donc entre « Purée, je t’ai demandé de répéter ! T’es pas obligé de faire c’te face. T’es tellement condescendant !/chéri, es-tu certain que tu m’aimes ? Je ressens un grand vide, une grande tristesse. J’ai besoin de câlins. » En plus, c’est la nausée parce que ta ligne de vision monte et descend en même temps que le rythme des vagues et que ton corps « penche » de plusieurs degrés sur le côté. C’est absolument fabuleux quand tu as mal au ventre et à la tête.

Shroud Cay, Exuma Cays Land and sea park

Dans notre cas, ça a frappé à partir de New York, après une journée trop remplie (purée d’épicerie, c’est une vraie tueuse à tous les coups.) J’ai commencé une nouvelle pilule un peu avant le départ et elle n’avait pas encore pleinement porté fruit. À la fin de la journée, j’étais tellement mal que mes larmes coulaient librement sur mes joues. Un joueur de baseball s’amusait à pratiquer son coup de bat sur mon crâne éprouvé. Il va sans dire que je ne m’endurais plus moi-même et que j’étais proche de me déclarer le divorce. « Quoi, tu as tes règles ?! » Paroles sexistes, il n’y a aucun doute. Sauf que, mon corps et ma psyché divaguent pendant cette semaine-là. Avec Laurent, on a donc conclu un armistice. Je lui fais part, quelques jours avant, de la date fatidique. En retour, il consent à ne pas mettre de tâche à l’agenda et, surtout, à rester bien ancré. Tout le monde y gagne. Bref, ne fais pas l’autruche, penses-y à l’avance. Idem pour les ibuprofènes !

Allan’s Cay
Allan’s Cay

Une autre erreur stupide ; j’ai emporté un nombre raisonnable de bobettes/petites culottes pour l’année. À la maison, le nombre est raisonnable parec que je suis équipée d’une laveuse-sécheuse. Dans la baie de Chesapeake, je me retrouve à court de sous-vêtements pendant ma semaine fatidique. Entre nous, faire sécher tes bobettes à la proue en navigation, c’est la classe. Chouette, un magasin Un dollar ou deux, je vais pouvoir m’approvisionner ! Les trucs en dentelles qui piquent, non merci. Optimiste, j’opte pour les bobettes en coton de fillette, grandeur 16 ans. Bien sûr, je n’ose pas ouvrir le paquet… Horrible, la forme des dites bobettes fait honneur à la plus puritaine des grands-mères. Je me retrouve avec un assortiment d’orange, de rose, de mauve et de fleurs qui me couvrent du nombril aux courbes des fesses. Bien sûr, le tissu pendouille. Il y a quelque chose que je n’ai pas capté… Elles sont boulottes les fillettes américaines ?!

La sirène Molly

Mais encore, être une femme à voile ne se limite pas à cette semaine. Avec une pointe de jalousie, j’ai cru remarquer que les équipages avec enfants sont souvent bohèmes. Va savoir pourquoi, mais les femmes gipsys, elles sont minces et élancées ! Les Bahamiennes sont plutôt shapées comme des poires, rondelettes. Il y a de quoi s’agripper. Petit problème d’image corporelle ? Depuis que j’ai passé quelque temps avec ma copine Sylvie (maitre d) et que j’ai été envoutée par sa sensualité, non. Du moins, j’essaye de ne pas penser à mes poignées d’amour dans mon bikini ultra-sexy. Je ne suis pas svelte.

De la glace, de la glace!

Bikini, bikini, ça me fait penser que je visitais mon esthéticienne une fois par mois, sur Montréal. La mode des poils pubiens n’est pas restée, malgré la présence à perpétuité des hippies. Dans un élan de courage, je me suis procuré un ensemble « débrouille-toi » qui comprend de la cire et des bandelettes. J’ai fait l’autruche pendant plusieurs mois dans l’Intracostal. Arrivée en Floride, le constat est douloureux. Avec Laurent, on ressemble à des barbus et il fait tellement chaud que je ne veux que porter mon costume de bain. J’ai des tendances à rire à mes dépens dans les situations malaisantes. Laurent arrive au voilier et me regarde, sidéré. Je rigole toute seule, affublée de ma super bobette orange. J’ai accès au micro-ondes pour la première fois depuis le départ grâce à l’achat de la génératrice. Je fais chauffer ma cire et, en même temps, je ne sais pas où me mettre. Je suis stressée pas possible avec mon « ensemble » débrouille-toi dans les mains. Purée, c’est écrit qu’il ne faut pas que tirer, mais qu’il y a un sens ?! Je me remémore le calme serein de l’esthéticienne et l’éclat de ses yeux lorsqu’elle tirait sur la bandelette. Gulp. Ça colle partout de la cire, merdouille. J’ai réussi à me faire un ou deux ecchymoses sur l’entrejambe quand j’entends la voix de Ben et de Molly dehors (Sandflea) Non !! Je perçois le rire dans la voix de Laurent qui est dans le cockpit. Il sait très bien que je mène un combat, en bobettes, avec mes bandelettes dans la descente ! J’ai vu, j’ai attaqué et j’ai à peu près survécu.

 

 

*Stephen Pavlidis (2000), A crusing guide to the Exuma Cays, SeaWorthy Publication, Port Washington, p. 8.