À la croisée des chemins

George Town encore et toujours

Les tours de Zéphyr
Ce n’est pas sans une certaine fierté qu’on crie sur tous les mâts que non seulement on a passé la dernière tempête à l’ancre, mais qu’en plus, on n’a pas chassé ! La tête dans le cul en raison de manque de sommeil cumulé effarant, j’avais quand même envie de faire le gorille sur le pont et de me frapper le torse en hurlant « on a réussi ! » Les vents les plus forts ont frôlé le 45 nœuds (90 kilomètres/heure) et la nature ne s’est calmée que trois jours après le début du cataclysme. dorénavent a été balayé sans arrêt par des vents établis à 30 nœuds avec des grains de 37-38 nœuds (74-76 kilomètres/heure) régulièrement. Pendant ces grains, le voilier entier tremblait sous la force du vent qui s’abattait sur le mât et les œuvres mortes. C’était tout simplement ahurissant.

Carte postale avant la tempête

Chacun à ses démons. Certains ont peur que les catamarans et autres voiliers à l’ancre devant eux chassent et les percutent. Moi, c’est le contraire. Je suis terrorisée à l’idée que ma maison se fracasse sur l’un de mes voisins parce que mon ancre recule, pernicieusement. Quelques catamarans sont plus près de la plage, devant nous. Pendant le plus fort du front, aucun vaisseau n’est venu s’ancrer derrière nous. Quel soulagement ! C’est totalement irrationnel comme peur, mais c’est ma bataille. Avec Laurent, pendant trois nuits, on a donc fait des quarts pour que l’un puisse dormir avec des bouchons pendant que l’autre, semi-alerte, roupillait très légèrement dans le carré, prêt à réagir si l’alarme de l’ancre venait à sonner. Je ne vous dis pas la mine de mort après trois nuits sans sommeil profond… Personne n’a mordu personne, je le jure. Quoique. Si, peut-être qu’Aymeric a laissé quelques marques de dents…

Monument Beach

Le contact avec les autres permet sans contredit de tirer le meilleur de nous-mêmes, de puiser en nous les ressources nécessaires pour affronter la tempête extérieure — eille, je pourrais écrire le mot du jour dans mon pot de bonheur ! Tous les matins, la voix calme de Pat (Xalya) m’appelait à la radio VHF sur le 68 pour prendre de nos nouvelles. Avec un certain flegme que je ne lui connaissais pas, elle me répétait « une journée à la fois » quand je capotais, devenue psychotique à cause du vent. Apaisée, j’en venais même à rigoler ; Pat, maître-gourou digne d’une rencontre de AA (alcoholic anonymous). Les textos de Baila et de Honey Mooner m’ont aussi permis de tenir le coup, de me sentir moins isolée sur mon bateau. Laurent, chef devant son fourneau, a tenu le flambeau pour ne pas qu’on meure de faim. Je lui étais tout simplement reconnaissante d’être avec moi, secoué et balayé par la tempête.

Petite vague deviendra immense

Toujours est-il qu’au bout de trois jours, mon père et mon frère devaient s’envoler pour le pôle-nord canadien. « Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver » chantait Gilles Vigneault. On souhaitait tout de même les saluer une dernière fois. Après de chaleureuses embrassades sur le quai, le retour au voilier fut cauchemardesque pour notre gamin. Dans les vagues, j’ai cru pendant un bref instant que la voiture-bateau se retournerait sur elle-même. En une nanoseconde, je nous imaginais déjà tous à la flotte ; le dingy s’éloignant. Je me suis élancée vers l’avant avec tout mon poids pour empêcher l’embarcation pneumatique de combattre la gravité et de prendre une position verticale ! Il y a ces moments où te dit « purée que je suis contente d’avoir un zodiac digne de faire du vrai rafting ! » Le plus déchirant, ce sont les pleurs d’Aymeric terrorisé par les vagues. « Je ne veux plus ! Je ne veux plus de vagues ! » Je sais bien que dans une situation pareille, on ne peut que rassurer son enfant… lui faire un gros câlin. C’est malheureusement impossible, je tiens les amarres du dingy pour ne pas passer par-dessus bord, accroupie à l’avant du pneumatique. Laurent au moteur évite les vagues comme il peut. Il faut arriver au voilier de l’autre côté de la baie au plus sacrant. Subitement, j’entends Laurent se mettre à faire des bruits de voiture de course et à rigoler quand on surfe sur les vagues ou bien qu’on reçoit une douche froide bien salée sur la tronche. Ça calme un tout petit peu Aymeric, le temps qu’on rentre. Comme trois poules mouillées, on arrive chez Xalya, de nouveau nos voisins d’ancrage. Aymeric veut voir leur chien, Ginger, une petite yorkshire de 6 mois. Les affres du rafting sont vite oubliées.

Et là, on fait quoi ?

La visite est partie et le vent avec elle… on fait quoi maintenant ? Si la question peut sembler simpliste, voire idiote, c’est loin d’être le cas. Avec Laurent, on se tape les mêmes monologues puérils depuis quelques jours :

–Tu ne regardes jamais la force et la direction du vent, tu ne sais même pas si c’est possible d’y aller. Tu t’imagines que c’est correct pis après tu capotes. J’ai un voilier, ce n’est pas pour faire du moteur !

–Tu ne veux jamais rien faire qui demande un peu d’organisation ! Je m’en fous de faire 8 heures de moteurs pour visiter une île. Qu’est-ce qui te t’allume vraiment ?

Au-delà des mots, c’est le retour qui pèse lourd dans nos propos. Tout bonnement, on est à la croisée des chemins. Très bientôt viendra le moment fatidique où l’on reprendra la route vers le nord. Alors que se dessine à l’horizon la troisième portion du voyage, c’est la fin en elle-même qui se fait sentir. C’est le temps ou jamais puisqu’après, il sera trop tard…

Un peu tout croche en ce moment

Le printemps va bientôt pointer son nez et sur la plage, les équipages qui poursuivent leur périple vers le sud discutent des meilleurs plans pour se cacher pendant la saison des ouragans. Les ABC, les Grenadines, etc. Nomad est à l’île de la Conception ; L’Anse aux fraises est déjà tout près de Nassau. Je sais très bien qu’il s’agit d’une année test. Laurent a besoin de programmer, de créer un mélange exotique d’électrique et d’électronique — c’est ma vision romantique. Il veut démarrer sa propre boîte (non amis québécois, ça ne veut pas dire qu’on va s’acheter un frigidaire et qu’il va se cacher dans la boîte de carton) un de ces jours. Il a annoncé à la visite qu’après le retour, la famille s’agrandira. J’avais le cœur en guimauve, tellement heureuse. Pour ma part, je sais que le voilier n’est pas équipé convenablement s’il devait prendre les parures d’un tour-du-mondiste. C’est vrai, mais je ne veux pas rentrer de suite. Je suis devenue cette personne un peu hippie, poilue, qui fait du pain le matin, se lave à la douche-solaire, enseigne l’alphabet à son gamin sur un petit tableau noir dans le carré, cache des pommes enveloppées dans du papier brun sous ses couchettes en espérant avoir des fruits frais dans quelques semaines… Celle qui se fait couper les cheveux sur la plage.

L’Anse aux fraises

 

Zamis

Un dernier saut pour nous rendre au point le plus au sud de notre voyage, le trou bleu de Dean (Dean’s blue hole  202 mètres de profondeur) situé à Long Island. C’est le deuxième trou du type le plus profond au monde et plusieurs compétitions internationales d’apnée s’y déroulent. On y va, on n’y va pas… Baila nous propose de remonter doucement avec eux la chaîne des Exumas puis de voir les îles d’Euthera et les Abacos. J’ai tellement envie de les suivre. Les filles sont adorables avec Aymeric, Lynn et Brad vraiment chouettes. Des amis avec qui on a envie de vivre une partie de notre voyage, quoi. Je veux le beurre et l’argent du beurre. J’ai tergiversé, Laurent était incapable de se décider. On suit Baila dans les Exumas où on va Long Island ? Deux indécis, ça ne va jamais loin. Dans ce cas-ci, des vents de l’est dimanche ou lundi ouvrent finalement la fenêtre météo qu’il faut pour naviguer à voile jusqu’à Long Island. L’on pourra rejoindre Baila dès notre retour. Brad m’a confié qu’il nous attendrait une journée pour nous permettre de les rejoindre.

Brad

Après la tempête, comme deux boulets, on s’est vite rendu compte qu’on avait ancré dans le chenal du mailboat ! Ce n’est pas grave quand il n’y est pas… mais il a dû dévier sa route et frôler le fond sur une longue distance pour éviter les voiliers devant Monument Beach. Aymeric et moi, on n’en menait pas large quand on l’a vu passer juste à côté de dorénavent. Le water taxi Elvis a fait un appel général pour que soit libéré sur-le-champ le chenal. Comme on dit, yé’tait pas content !

Sand Dollar Beach

On a donc quitté notre nid douillet pour Sand Dollar Beach où le vent se faisait encore sentir. Trop de bol, les zamis y sont ancrés en grand nombre Baila, Robin (Katie, Joe, Flinn 5 ans et Sadie 2 ans), Mariposa (Alyssa et Paul, Heather 9 ans et Katty 7 ans), Dawn Trader et leurs enfants et je ne sais qui encore. Tout ce beau monde a fait un feu dans une caverne ; chiens-chauds, patates, s’mores et guimauves à volonté ! On sent le poulet trop grillé, mais oh combien c’était chouette !

Lynn préposée aux saucisses
On veut un chien-chaud! Aymeric et Sadie

Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour Laurent. Il est maintenant à l’aise avec un troupeau d’Anglos qui lui parle de voile, d’ordi, de gamins, etc. Il ne se cache même plus derrière moi. Aymeric était tellement fatigué après tant de festivités qu’il a dormi 15 heures d’affilée sans souper.

En ligne pour la photo officielle

En attendant, la panoplie de travaux d’entretien nécessaires s’allonge et les préparatifs du départ occupent notre « chose par jour ». On est vachement incapable de faire plus d’un truc par jour sinon ça foire. À commencer par Aymeric, on a tous besoin de ne rien faire une bonne partie de la journée. Ce temps, je le consacre au blogue ou bien à la photo de voyage. J’ai réussi à soulever le tapis de sous les pieds de Laurent en m’inscrivant à un cours à distance. Mouhahah. Je contemplais l’idée de suivre un cours au cégep ou bien à l’université en photo et l’homme, avec tact, m’a répondu « Ça ne sert à rien de suivre un cours. C’est quand que tu vas passer à d’autres choses ? Vas sur internet, trouves un blogue, pas besoin d’aller à l’école ! ». Comme si j’étais toujours au secondaire. Bref, j’ai flashé sur un blogue qui, après quelques semaines, m’a vraiment permis de progresser et de me faire plaisir. Quelle ne fut pas ma surprise quand l’auteur du blogue m’a proposé de m’inscrire à sa formation en ligne ! Je riais dans ma barbe.

Plaisir artistique

Chose certaine, le dingy, il n’a pas aimé la visite ! Il fuit des deux boudins arrière, massacrés pendant les allées retours vers George Town. C’est le dernier grand coup à donner avant de pouvoir partir d’ici. Comme on ne va plus à la plage du Club Med des têtes blanches (Chat & Chill) – Xalya l’appelle le camping St-Madelaine, comme quoi —, le besoin de foutre le camp et moins impératif. Laurent regagne en jovialité, si je peux dire. En ce moment, il est sur le pont à jouer avec l’époxy. Il n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il touche un fil électrique, pauvre ti-oui. Je l’entends sacré en français de France, ce n’est jamais un bon signe. Bon, l’ancrage à long terme a pour prix la sénilité, il faut tout de même décrisser ! Long Islans nous attend.

Bricolage pour l’anniversaire d’Isabelle
Isabelle, tu es super chouette!